On bombe le torse ces jours-ci du côté latin de la Sarine. Pensez donc: le Conseil national a adopté la nouvelle loi sur l’enseignement des langues qui rend la priorité aux langues nationales par rapport à l’anglais. Tout cela au nom du resserrement des liens entre les communautés linguistiques.
Un coup d’éclat qui profite surtout au français, cet idiome dont nous sommes si fanatiquement fiers et que certains cantons alémaniques ont froidement, pour ne pas dire judicieusement, remplacé par l’anglais.
Ce vote, qui ne sera peut-être pas confirmé par le Conseil des Etats, n’est pas un cadeau de la majorité alémanique, mais résulte du soutien de l’UDC qui s’est allié à la gauche, espérant, par ce soutien aux solutions latines les plus extrêmes, torpiller l’ensemble de la loi.
L’UDC en effet estime, non sans raison, qu’il est vain de légiférer au niveau fédéral, puisque le domaine scolaire est de la stricte compétence des cantons.
On ajoutera que le projet voté va bien plus loin que ce que souhaitait la Conférence des directeurs cantonaux de l’instruction publique (CDIP), qui militait pour une égalité de traitement entre l’anglais et une deuxième langue nationale. Avec la nouvelle loi, le français, en Suisse allemande, et l’allemand, en Suisse romande, seront enseignés avant l’anglais. Le compromis voulu par la CDIP semblait pourtant avoir le mérite de l’évidence.
On peut même aller plus loin et se demander quelle légitimité il y a, et surtout quelle utilité, à forcer petits glaronais et autres cancres appenzellois à apprendre ce français si éloigné de leur culture et de leur mentalité, au détriment d’un anglais devenu de toute façon, à l’heure du village planétaire, parfaitement incontournable.
Et puis, n’est-ce pas pousser trop loin le particularisme à croix blanche que d’estimer obligatoire pour la majorité linguistique d’apprendre les patois minoritaires? N’est-ce pas plutôt aux minorités, dans leur propre intérêt, à posséder la langue qui leur permet un accès direct aux centres de décisions économiques, politiques et culturelles — en l’occurrence l’allemand?
Forcer les Alémaniques à apprendre le français va même contre l’intérêt des Romands: des Alémaniques parlant couramment, et en masse, le français, cela ne risque-t-il pas d’enlever aux monolingues et paresseux Welches leur dernier grain de motivation à l’égard de la langue de Goethe?
Les parlementaires eux-mêmes ne montrent pas l’exemple: l’écologiste genevois Ueli Leuenberger a déposé une motion demandant que des interprètes soient prévus lors des réunions des commissions parlementaires, une mesure qui coûterait 3,4 millions aux contribuables et qui a déjà été signée par 62 élus sous la coupole.
Et puis, comme le fait remarquer le sociologue Stefano Losa dans Le Temps, ce genre de débats peut être gros «de dérives potentielles. Surtout quand la langue devient l’emblème identitaire d’une «culture» particulière, pensée comme un tout homogène et déterminant une vision du monde».
Mais si imposer le français de l’autre côté du mur de rösti peut s’apparenter à un prurit d’orgueil identitaire mal placé, dont nos voisins français, nuls en langues étrangères et en géographie, ont bien montré à quel degré d’inculture il pouvait conduire, ce n’est pas une raison pour renoncer à combattre la suprématie de l’anglais là où elle doit être combattue: dans la publicité et l’administration, c’est-à-dire dans un usage strictement intérieur.
La récente levée de bouclier contre l’inscription PostMail sur les nouvelles boîtes aux lettres de la Poste semble parfaitement légitime. Et c’est aussi à juste titre que l’Association Défense du français se gausse de ce «sémillant chef du corps des garde-frontière, qui apparemment a séjourné trop longtemps aux Etats-Unis, et veut baptiser son corps Swiss Border Police».
Ce n’est pas contre son apprentissage à l’école mais contre son omniprésence dans la rue, sur les écrans plats et le papier glacé, que doit s’organiser la résistance à la belle langue de William Secoue-les-Poires.