La fililale la plus profitable de Nestlé se lance à l’assaut du marché chinois en ouvrant son premier café-boutique à Beijing. Elle devra surmonter la culture du thé solidement ancrée dans les mentalités, ainsi que la concurrence de Starbucks.
On le sait, la Chine est le nouveau terrain de jeu des multinationales, qui y trouvent un marché en pleine croissance friand de produits occidentaux. Dernier à avoir rejoint la file: Nespresso, qui a ouvert fin avril son premier café-boutique à Beijing dans un espace de 90 m2.
La filiale la plus rentable de Nestlé a bouclé l’année 2006 sur un chiffre d’affaires de 1,16 milliard de francs qu’elle entend bien développer. «Nous sommes à la recherche d’autres emplacements à Beijing et Shanghai, indique Mark Leenders, directeur commercial de la marque pour les marchés orientaux. Nous prévoyons aussi l’ouverture de boutiques Nespresso notamment à Chengdu dans le courant du premier semestre.»
La firme se dit «confiante» quant à ses perspectives chinoises. «Le pays se développe à une vitesse fulgurante, tout comme l’économie de marché dans ses grandes villes où le pouvoir d’achat a fortement augmenté.»
Le producteur de café en capsules bénéficiera surtout de l’évolution des modes de consommation. «Les Chinois s’ouvrent toujours plus à la culture et aux produits occidentaux, notamment ceux du luxe», observe Mark Leenders.
André Übersax, président de la chambre de commerce Suisse-Chine, confirme: «La société chinoise aspire à posséder des marques occidentales. Elle se trouve dans une dynamique incontestable d’ouverture face au monde, contrairement à d’autres pays émergents davantage repliés sur eux-mêmes comme l’Inde.»
De plus, la jeune génération des étudiants chinois partis faire leurs études en Europe ou aux Etats-Unis «a ramené au pays les habitudes acquises à l’étranger». Dont le goût du café.
Le géant asiatique se caractérise pourtant par une culture du thé qui reste fortement ancrée dans les mentalités. «Il y a 20 ans, il n’y avait pas de café en Chine, note Gérald Béroud, directeur de Sinoptic, une entreprise de services qui aide les acteurs helvétiques souhaitant s’engager sue le marché chinois. Les premières machines sont apparue qu’il y a dix ou quinze ans et, encore aujourd’hui, la consommation annuelle par habitant ne dépasse pas 30 grammes.»
Mais la culture du café se développe, estime ce spécialiste de la Chine. «On assiste au même phénomène qu’avec le vin, désormais entré dans les mœurs.» Au-delà des us et coutumes, c’est l’espace lui-même qui s’occidentalise, selon lui: «Les salons de thé traditionnels étaient des lieux clos. Désormais, il n’est plus rare de voir des terrasses en Chine. Alors pourquoi pas un bar à café?»
Tout se joue en fait dans l’opposition entre villes et campagnes. «On n’a pas affaire à un marché unifié, le pays en comprend plusieurs auxquels il convient de s’adresser comme à autant d’Etats différents. Il est illusoire de vouloir vendre son produit à l’ensemble du bassin de population chinois.»
Les zones du littoral oriental et les grandes villes sont bien plus réceptives aux produits venus de l’ouest que les villes de taille moyenne ou les campagnes «encore largement tournées vers le marché chinois», renchérit André Übersax.
Les lourdeurs de l’appareil chinois ne facilitent pas non plus la tâche des entreprises qui souhaitent s’implanter dans le pays. «Le néophyte se heurte à un problème culturel. En Chine, il faut développer des relations étroites avec l’administration avant de pouvoir y faire des affaires. Mieux vaut donc se reposer sur du personnel local, qui connaît les bonnes filières», relève le président de la chambre de commerce.
Nespresso applique la recette à la lettre: le groupe dispose déjà d’une entité régionale à Beijing et d’un centre de relations clients opéré depuis Hong Kong.
Malgré ces précautions, la Chine ne se conquiert pas en un jour. «Entrer sur ce marché demande un effort extrêmement soutenu sur une longue période», souligne Gérald Béroux. Mais Nespresso a les reins solides et peut se permettre des pertes pendant quelques années.
D’autant que la maison-mère, présente dans le pays depuis de nombreuses années, a déjà débroussaillé le terrain. Pour preuve, le directeur de Sinoptic cite le cas d’une usine de lait en poudre Nestlé qu’il a visitée en 2006 dans le nord-est du pays. «Aujourd’hui, elle tourne, mais il a fallu du temps: on a dû importer les vaches, former les paysans locaux, introduire des contrôles de qualité stricts.»
Certains se demandent d’ailleurs pourquoi la marque a attendu si longtemps pour s’engager en Chine. «On m’a souvent demandé dans les milieux d’affaires locaux pourquoi Nespresso n’était pas encore là. Peut-être arrive-t-il un peu tard… », avance André Übersax.
Le groupe s’est en tout cas fait doubler par l’enseigne américaine Starbucks, qui a ouvert son premier café en 1998 à Taïwan, puis à Beijing en 1999. Aujourd’hui, elle possède plus de 447 échoppes dans 19 villes chinoises et estime que le pays représentera à l’avenir «l’un des marchés internationaux les plus importants du groupe», selon son porte-parole Cédric Jacot-Guillarmod. La guerre du café ne fait que commencer…
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Une version de cet article est publiée dans le magazine L’Hebdo.
