Une société soleuroise vient de recevoir l’autorisation de traiter par irradiation des herbes et épices séchées. Une pratique contestée en Suisse, alors que d’autres pays irradient fraises, pommes de terre ou cuisses de grenouilles depuis plus de 20 ans.
Vous prendrez bien un peu d’herbes irradiées dans votre potage? L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) vient d’autoriser une méthode garantissant une conservation optimale des épices séchées sans rien altérer à leur saveur. Son principe? Un traitement par irradiation.
C’est l’entreprise soleuroise Studer Draht und Kabelwerk AG qui a obtenu fin mai l’autorisation d’irradier ces denrées par son unité indépendante Studer Hard, spécialisée dans la stérilisation par irradiation de matériel médical et pharmaceutique depuis 1991.
La demande avait été déposée en 2002. «Nous voulions posséder les mêmes compétences et responsabilités que nos concurrents en France, en Italie et ailleurs en Europe, explique Hans Jörg Hartmann, directeur technique de Studer Hard. Mais pour l’instant, nous ne savons pas encore si nous allons avoir des commandes.»
Toute la question est là. Les Suisses se laisseront-ils convaincre par cette technologie qui, malgré d’indéniables qualités pour l’industrie agroalimentaire, évoque encore et toujours Tchernobyl, ses champignons et fruits des bois devenus hautement radioactifs?
Dans certains pays, l’irradiation de denrées alimentaires pour des raisons sanitaires ou pour éviter que le produit ne se détériore trop rapidement est une pratique courante depuis de nombreuses années. Au Canada, on irradie les pommes de terre, pour empêcher leurs germes de se développer, depuis 1960, et aux Etats-Unis depuis 1964.
La Russie utilise ce traitement pour prolonger la durée de conservation de nombreux produits carnés depuis la seconde moitié des années 60. En Argentine, ce sont les fraises qu’on irradie depuis 1989 dans ce même but, et la pratique est également appliquée par le Costa Rica aux mangues et aux papayes depuis 1994.
Plus proche de nous, la France a reçu en 1990 l’autorisation d’irradier la viande de volaille afin de limiter son taux de microbes, tandis que depuis 1992 les Pays-Bas irradient des denrées comme crevettes et cuisses de grenouilles pour réduire les micro-organismes pathogènes. Enfin, d’autres pays ont établi récemment une liste de denrées alimentaires pouvant recevoir un traitement aux rayons ionisants, notamment l’Afrique du Sud en 2002, la Belgique en 2004, et le Mexique en 2005.
Loin d’être exhaustive, la liste est encore longue.
En Suisse, les produits irradiés autorisés par l’OFSP devront obligatoirement porter la mention «traité aux rayons ionisants» ou «irradié» sur leur emballage afin d’être clairement identifiables pour le consommateur. Quant à Studer Hard, elle devra rendre chaque année un rapport à l’OFSP sur la sorte et la quantité d’herbes et d’épices irradiées.
Nul doute que les grands distributeurs resteront cependant prudents. En 2003, la découverte d’épices irradiées dans des soupes asiatiques produites en Corée et distribuées chez Migros avait provoqué une forte secousse. Le produit avait été immédiatement retiré de la vente et le géant de la distribution a choisi de rester prudent. «La décision de l’OFSP ne va pas changer nos dispositions. Les denrées irradiées ne sont pas autorisées chez Migros», affirme sa porte parole Monika Weibel. Même son de cloche chez son concurrent: «Coop ne planifie pas d’utiliser cette possibilité, dit Takashi Sugimoto, porte parole. Nous pensons que le consommateur suisse préfère les méthodes de conservation traditionnelles.»
Cette position n’étonne guère Michael Beer, chef de la division sécurité alimentaire à l’OFSP. «En nous basant sur des études approfondies menées par l’Organisation mondiale de la santé, la Communauté Européenne et la Suisse, nous savons à que le type de radiations qui seront appliquées aux herbes et épices séchées par l’entreprise Studer Hard sont sans danger. Mais je comprends que ce soit quelque chose de difficile à concevoir pour le consommateur vu la connotation négative associée aux rayons ionisants.»
Dommage pourtant, car l’irradiation apparaît comme la meilleure méthode de traitement possible contre les bactéries des herbes et épices séchées. «Il n’est pas facile de traiter ce genre de denrées sans leur causer une légère dégradation. Un traitement chimique est possible, mais il laisse des résidus dans le produit, tandis qu’un traitement par vapeur a tendance à appauvrir leur arôme, explique Michael Beer. Le traitement par irradiation ne laisse quant à lui aucune trace nocive tout en préservant la saveur».
C’est d’ailleurs probablement dans sa discrétion que réside le problème d’acceptation de cette technologie. «L’irradiation n’est détectable par aucun de nos cinq sens. C’est justement cela qui inquiète les gens», conclut Hans Jörg Hartmann.
