Confrontés à un conflit familial insurmontable, comme le refus par les parents d’honorer leurs obligations d’entretien, certains enfants vont jusqu’au procès. Témoignages et réactions.
«Mes parents ne veulent pas me donner de l’argent? Eh bien, je vais leur coller un procès!» Ce cas de figure inattendu tend pourtant à se généraliser. Aux Etats-Unis, défendre ses droits de fille ou de fils devant un tribunal est même devenu tout à fait commun.
A Genève, une structure a vu le jour pour fournir une aide juridique aux jeunes qui ont un problème de racket, de drogue, de violence, mais aussi de famille. Appelée Juris Conseil Junior (JCJ), cette permanence téléphonique bénéficie de la collaboration d’une trentaine d’avocats et traite quelque trois cents cas par année.
«Un peu plus de 10% des appels sont suivis d’un premier entretien gratuit avec un avocat», dit Catherine Ming, présidente de JCJ. Par la suite, 3 à 4% des dossiers débouchent sur une action en justice.»
Des données précieuses, puisqu’il n’existe aucune statistique officielle recensant les cas où un enfant entame une procédure judiciaire contre ses parents. Les litiges les plus fréquents soumis à JCJ (60%) relèvent du droit privé ou de la famille. «Il peut s’agir d’un jeune qui atteint sa majorité et dont les parents exigent qu’il quitte le domicile familial ou refusent de financer les études», précise Catherine Ming.
Marc, 22 ans, et son frère Alexandre, 20 ans (prénoms fictifs), l’ont vécu. Après le divorce de leurs parents en 2002, la mère obtient la garde des deux adolescents alors âgés de 16 et 18 ans. Tout se passe bien avec son nouveau compagnon, mais les rapports se tendent en 2003 lorsqu’elle change d’ami. L’entente avec le nouvel homme est mauvaise.
«Il avait des accès de colère, mon frère s’est même fait tabasser, assure Marc. L’ambiance à la maison était devenue invivable.» Le jeune homme s’en va alors vivre chez son père, où il est rapidement rejoint par Alexandre. La situation s’envenime encore suite à une altercation en pleine rue entre Marc et le nouveau compagnon de sa mère.
«Ma mère n’a même pas essayé de l’empêcher de me frapper», continue Marc. Peu avant cet incident, le jeune homme avait entamé des études universitaires. Sur le conseil de son père, il décide d’ouvrir une action alimentaire contre sa mère pour l’obliger à financer en partie sa formation.
Son frère fera de même. «Au début, cela me paraissait inconcevable, il n’est pas facile d’attaquer sa propre mère devant la justice, dit Marc. Mais après tout ce qui s’était passé, une solution à l’amiable ne nous semblait plus réaliste. Ce fut une décision mûrement réfléchie que je ne regrette pas aujourd’hui.»
La procédure remontera jusqu’au Tribunal fédéral qui donnera raison aux deux garçons et contraindra leur mère à leur verser à chacun une pension de quelque 750 francs par mois, avec effet rétroactif. Mais les garçons ne recevront jamais cette somme: leur mère a décidé de vendre la maison familiale et aurait, aux dernières nouvelles, quitté le territoire suisse. Pour Marc, les liens sont définitivement rompus.
L’alternative de la médiation
Recourir à la justice pour régler un différend familial ne doit être qu’une solution de dernier recours, estime Catherine Ming. La médiation, qui permet de classer une procédure en cas d’accord ou de régler un conflit sans faire appel aux tribunaux, constitue un outil précieux.
«La solution trouvée à travers la médiation sera plus facile à appliquer, car elle s’appuie sur le consentement des deux parties: on mettra plus de cœur à appliquer un accord qu’on a choisi soi-même qu’une décision imposée par un juge, expliquent Milène Barthassat et Bruno Munari, de la Maison genevoise des médiations. Pour rebâtir la confiance, les médiateurs mettent en valeur les expériences positives vécues ensemble dans le passé, qui sont nombreuses dans le cas d’une famille.
Autre avantage de la médiation: son coût bien inférieur à celui d’une procédure judiciaire. «Pour un divorce, on compte en moyenne 1000 francs. Devant un tribunal, il faut rajouter un zéro», note Bruno Munari.
Mais ce mode de résolution des conflits ne convient pas à tous. Pour Laura Cardia Vonèche, sociologue de la famille à l’Université de Genève, la médiation convient aux familles habituées à la négociation. En revanche, pour les familles dites «fusionnelles» –- qui vivent leur relation de façon symbiotique, font tout ensemble et disent «nous» plutôt que «je» –-, la négociation est presque impossible, car les différends deviennent rapidement conflictuels. Ils risquent alors de se terminer devant la justice.
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La juriste vaudoise Suzette Sandoz est une éminente spécialiste romande du droit de la famille. Jeune retraitée, elle explique pourquoi certains affrontements intergénerationnels aboutissent à un procès.
Quels sont les conflits entre un parent et un enfant susceptibles d’aboutir devant un tribunal?
Il faut savoir qu’un enfant doit avoir atteint sa majorité pour ouvrir une procédure judiciaire contre ses géniteurs. Le mineur devra, lui, passer par son gardien légal. Le cas de figure le plus fréquent concerne le jeune qui vit avec l’un de ses parents suite à un divorce, et dont l’autre refuse de continuer à payer l’entretien. Autre situation classique: l’enfant majeur dont les parents refusent de financer la formation. Plus rarement, il arrive qu’un enfant entame un procès en paternité pour obtenir la reconnaissance de son père ou une action en désaveu pour faire tomber la paternité que le mari de sa mère a acquise sur lui. Enfin, le jeune peut déposer une plainte pénale contre ses parents pour violences. Dans ces trois cas, l’enfant doit être doté de discernement (dès 14 ans en général).
On assiste à une multiplication de ces cas. Comment l’expliquer?
Il aurait fallu ne pas abaisser la majorité à 18 ans! Aujourd’hui, avec l’allongement des études, rares sont les jeunes qui ont fini leur formation de base lorsqu’ils atteignent la majorité. Si leurs parents refusent de continuer à financer leurs études, ils risquent de se retrouver devant les tribunaux.
Y a-t-il d’autres solutions qu’un procès?
Pour un enfant, faire un procès à ses parents est psychologiquement très lourd. Il se retrouve en contradiction avec le principe de loyauté qui le lie normalement à ses géniteurs. De plus, gagner le procès n’est pas aisé: pour recevoir le droit à un entretien pendant sa formation, le jeune doit poursuivre des études sérieuses et accepter le contact avec ses parents. Il faut aussi que ceux-ci conservent une certaine aisance matérielle. Il vaudrait donc mieux passer par une médiation. Pour les questions pécuniaires, un mauvais compromis vaut toujours mieux qu’un bon procès. A l’inverse, les cas de reconnaissance de paternité ou de violences exigent un règlement judiciaire.
