Sévèrement déculotté à Zurich, avec la perte de 17 sièges au parlement, le parti socialiste a dû, dans la foulée, encaisser encore les remarques aigres-douces de la reine Micheline.
Loin des gens, coupé du terrain, incapable de relayer ses positions auprès de la population: la conseillère fédérale Calmy-Rey n’y est pas allé mollo pour décrire le PSS et sa direction. En rompant, qui plus est, avec une tradition qui veut qu’un conseiller fédéral ne critique pas sa propre écurie, surtout à quelques mois des élections.
La stupéfaction a donc été forte chez les camarades devant ce qui semble bien être un coup de poignard dans le dos du certes peu charismatique président du PSS Hans-Jürg Fehr.
Et les élus socialistes aux chambres de répandre, anonymement, leur spleen dans la presse. Pour expliquer que jusqu’ici, Micheline Calmy-Rey s’était soigneusement gardée de parler d’autre chose que de son domaine réservé, la politique étrangère, où elle se montrerait butée au point de n’accepter, elle, aucune critique. Et qu’il aurait peut-être été opportun que la ministre socialiste profite de son année de présidence de la Confédération pour élargir son champ d’action et défendre les thèmes intérieurs chers au parti. Ou se positionner d’avantage sur les fonctionnements et surtout les dysfonctionnements du Conseil fédéral actuel et le double jeu blochérien.
Aussi, les élus et la direction ont plutôt mal pris que leur conseillère fédérale, pour une fois qu’elle sortait de son pré carré, les ait choisis pour cible, eux, ses vaillants camarades.
Dans les sections locales, l’humeur n’est pas plus joyeuse. La présidente du PS genevois Laurence Felmann Rielle par exemple, trouve que «Micheline Calmy-Rey aurait dû être plus réservée. Elle doit se positionner au-dessus de la mêlée. Zurich a éternué, mais cela ne veut pas dire que tout le PSS a le rhume».
Pour ajouter à la confusion, le conseiller national bernois André Daguet réclame la démission de …Moritz Leuenberger, l’accusant de préférer «au monde syndical celui de l’opéra de Zurich.
Un appel à la démission que Hans-Jürg Fehr qualifie de «déplacé et superflu». Ambiance, ambiance, pour une énième guerre des roses. Le président Fehr, qui serait plutôt du genre pot de terre, se voit réduit à jouer les jésuites rouges, disant du bien de ses chers Moritz et Micheline — l’un «pour tout ce qu’il a réalisé dans le domaine de l’environnement» et l’autre «pour le prestige dont elle bénéficie dans la population» — mais concluant avec cette pique vinaigrée: «Pour toutes ces raisons, je souhaiterais qu’ils fassent plus pour le parti, pas moins».
Un président Fehr qui malgré l’attaque de Calmy-Rey ne sera pas remis en question, du moins pour l’instant. Certes, les socialistes sont à peu près unanimes pour constater que leur numéro un n’a rien d’un tribun ni d’un féroce communicateur. Mais comme l’a rappelé le conseiller national Andreas Gross, il serait «suicidaire» de changer de monture au moment de sauter l’obstacle d’élections fédérales qui s’annoncent périlleuses.
Le poing dans la poche remplacera donc le poing levé, on remettra, encore une fois, à plus tard, le débat sur le positionnement du parti, le risque d’un glissement vers le centre, d’une coupure définitive avec les couches populaires au profit d’un électorat bobo-urbain pourtant prêt à se jeter dans les bras des écologistes.
Les scores des verts, prédisent les sondages, semblent en effet vouloir suivre la courbe des températures: la politique d’asile ne figure plus au rang des priorités des suisses, remplacée par les angoisses du réchauffement climatique, un virage que le PSS a totalement raté. De toute façon, comme le dit, résignée, Ursula Wyss, la cheffe du groupe socialiste aux chambres, «on ne voulait pas quelqu’un de bêtement populaire. C’est pour cela qu’on a élu Hans-Jürg Fehr à la tête du parti.»
Bref, le PSS paraît réinventer, après Jospin, ce concept électoralement destructeur: être intelligemment impopulaire.
Pendant ce temps, telle une Ségolène participative avançant dans la jungle, sourde aux barrissements furieux des éléphants et aux sifflements de divers serpents désorientés, Micheline Calmy-Rey sillonne le pays à la rencontre de la population.
Elle était récemment à Moudon, où elle a enfin croisé la vraie question qui tue, posée par une petite fille, et qui aurait pu tout aussi bien s’adresser à Hans-Jürg Fehr, ou à tous les politiciens englués dans les querelles de personnes et d’appareils: «C’est quoi exactement votre travail?»