Dans les pays développés, les troubles allergiques concernent désormais plus d’une personne sur trois. Le mode de vie hygiéniste des sociétés occidentales y serait pour quelque chose. Explications.
Les Occidentaux vivent-ils de manière trop asceptisée? La question s’impose au vu du développement spectaculaire des troubles allergiques, notamment respiratoires, dans les pays industrialisés de l’hémisphère nord depuis quelques décennies.
En Europe occidentale, le taux de symptômes peut ainsi atteindre jusqu’à dix fois celui observé dans les pays d’Europe orientale. D’après l’Etude internationale de l’asthme et des allergies chez les enfants (ISAAC), menée au cours de la période 1995-1996, le pourcentage de patients souffrant d’allergies fluctuait de 2,6 à 4,4% en Albanie, en Russie, en Géorgie, en Grèce et en Roumanie, alors qu’il dépassait déjà les 30% en Irlande (29,1%) et au Royaume-Uni (32,2%).
Un peu plus de 10 ans plus tard, cette progression continue dans les pays développés, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS). Pour rappel, l’allergie se définit comme une réaction anormale, inadaptée et excessive du système immunitaire, consécutive à un contact avec une substance étrangère à l’organisme.
Pour expliquer cette augmentation de la sensibilité des humains à leur milieu, de nombreux allergologues et chercheurs avancent la thèse «hygiéniste»: du fait d’un environnement trop propre, le manque de sollicitations infectieuses modifierait la maturation du système immunitaire durant la petite enfance.
«Le mode de vie occidental est certainement à l’origine de ce problème, explique ainsi Annette Leimgruber, allergologue au Centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV). En un siècle, les habitudes ont été bouleversées en terme d’hygiène. Auparavant, beaucoup de gens grandissaient à la campagne, au milieu de grandes frateries et au contact de vaches et de cochons. Ce contexte obligeait le système immunitaire à lutter, dès la naissance, pour s’adapter à certaines toxines et résister aux microbes. Aujourd’hui, comme l’organisme n’est plus colonisé par les bactéries, on constate que le système immunitaire se développe différemment.»
Plusieurs études plaident en faveur de cette hypothèse. Il a notamment été démontré que les enfants placés en crèche développent moins d’allergies. «Une autre enquête menée en Allemagne de l’Est indique une très forte augmentation du taux d’allergies après la réunification avec la RFA, en raison très certainement d’un nouveau style de vie», précise Annette Leimgruber.
«Bien entendu, l’amélioration des conditions d’hygiène a aussi des répercussions positives sur la santé, ajoute la doctoresse. Comme nous sommes moins exposés aux bactéries, le nombre d’infections graves a diminué.»
En clair, les enfants ne meurent plus de pneumonie mais développent des allergies. Les bambins passent aujourd’hui plus de temps à l’intérieur, de sorte qu’ils sont très exposés à certains types d’allergènes à risque, tels les animaux domestiques, l’humidité (dans les pays chauds) ou les acariens de la poussière, réputés très allergéniques.
Là encore, le mode de vie actuel favorise une sensibilisation précoce: «Auparavant, comme les chambres n’étaient pas aussi chauffées en hiver, les acariens de la poussière ne survivaient pas au froid», note Annette Leimgruber.
À ces allergènes de l’air intérieur s’ajoutent la plupart des polluants de l’air extérieur, qui s’infiltrent dans les bâtiments. Si la fumée ou le smog ne constituent pas une cause directe d’allergies, il s’agit sans conteste de facteurs aggravants, notamment concernant l’asthme.
Selon l’OMS, le tabagisme de la mère augmenterait le risque d’affections des voies respiratoires au cours des trois premières années de vie dans une proportion supérieure à 50%. En outre, une étude réalisée en 1998 dans huit grandes villes d’Italie a permi d’estimer que le smog avait engendré près du tiers des crises d’asthme et des bronchites aiguës parmi les enfants de moins de 15 ans.
«La fumée induit un développement plus précoce des allergies, confirme la doctoresse du CHUV. En outre, les personnes allergiques la supportent moins bien car leurs bronches sont plus irritables.»
Autre mal contemporain, la multiplication des allergies alimentaires. Le nombre de victimes ne cesse en effet d’augmenter: près de 4% des adultes et 8% des enfants sont aujourd’hui condamnés à surveiller leur assiette.
C’est que ce dernier siècle, l’occident a connu une véritable révolution des habitudes alimentaires, pour le meilleur et pour le pire: «Tandis qu’auparavant la nourriture était très monotone, les gens consomment aujourd’hui des produits du monde entier, susceptibles d’être allergisants», observe Annette Leimgruber. Dans tous les cas, les prédispositions génétiques constituent un facteur aggravant.
De son côté, l’industrie de la recherche investit massivement dans le développement de nouveaux médicaments. A l’heure actuelle, l’immunothérapie (traitement consistant à induire une tolérance progressive à certains allergènes) représente déjà un marché mondial de 400 millions d’euros. Un chiffre à comparer aux 20 milliards d’euros générés par les antihistaminiques.
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Lutter contre les allergies: trois conseils simples
1. Amener ses enfants à la crèche
«En se passant leur rhume, les tous petits imitent les grandes frateries du début du 20e siècle», affirme Annette Leimgruber, allergologue au CHUV. «Nous savons en effet que les derniers nés d’une famille sont mieux armés contre les allergènes, du fait que leur organisme doit s’habituer très tôt à lutter contre les bactéries.»
2. Identifier les aliments potentiellement allergisants
La liste est interminable… Parmi les allergènes alimentaires que rencontrent le plus souvent les bébés, on citera les protéines du lait de vache. Durant l’enfance et à l’âge adulte, il faudra se méfier des légumineuses (cacahuètes, lupin, soja), des oeufs, des poissons et crustacés, des oléagineux (noix, noisettes, amandes), de nombreux légumes et fruits (céleri, carottes, pommes, poires, cerises, kiwi, banane, mangue, etc.) ainsi que de certaines céréales (sésame, sarrasin, etc.).
«Les personnes sensibles à certains pollens ou à la poussière réagissent souvent à d’autres allergènes, tels qu’on en trouve dans les aliments. C’est ce que l’on appelle les allergies croisées», précise Annette Leimgruber. Une allergie au pollen de bouleau ou de noisetier, par exemple, va souvent de pair avec une allergie aux pommes. Celle aux acariens de la poussière avec les crustacés.»
3. Eviter la cause de l’allergie
Il s’agit encore de la solution la plus efficace… en dépit des médicaments ou des traitements de désensibilisation, pas toujours applicables. Dans le cas d’allergies au pollen, mieux vaut se conformer à un calendrier pollinique et partir en vacance aux bonnes dates et aux bons endroits. Le vent de mer, par exemple, charrie peu de pollen.
Pour les personnes allergiques aux acariens, préférer l’altitude au-delà de 1500 mètres, bien aérer sa maison et ne pas utiliser de balai, mais plutôt une serpillère et des chiffons humides. Renoncer aussi aux moquettes, mais également aux plumes et aux peluches (à moins qu’elles soient lavables).
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Une version de cet article est parue dans Migros Magazine.
