KAPITAL

Recherche information… forte récompense

Près d’un demi-million est offert pour tout renseignement qui permettra de retrouver le butin volé en décembre dans la boutique Chopard à Genève. Les assureurs veulent donner un coup de pouce à l’enquête.

Cela se passe à Genève, à la fin décembre 2006. Deux individus armés pénètrent dans la boutique Chopard et y dérobent l’équivalent de 4,5 millions de francs en montres et en bijoux avant de prendre la fuite.

Quelques jours plus tard, constatant l’ampleur du cambriolage, l’assureur de la marque décide d’offrir 450’000 francs à toute personne capable de fournir des informations décisives permettant de récupérer le précieux butin.

Cette pratique, qui évoque les temps reculés de la conquête de l’Ouest, n’est pas si rare en Suisse. Elle s’applique essentiellement aux domaines de l’art et du luxe, où les pièces sont facilement identifiables.

La récompense s’élève en règle générale à 10% de la valeur des biens récupérés, soit leur prix de revente moyen sur le terrain.

« Payer un dixième du montant total à un informateur est pour nous préférable que de rembourser la quasi-totalité de la valeur au client », résume Silvio Freuler, responsable «sinistres choses» à Allianz Suisse.

Mais la méthode ne marche évidemment pas à tous les coups. En octobre 2004, la compagnie d’assurance Toplis & Harding proposait une forte récompense suite au vol d’une quinzaine de vases « Gallé », estimés à plusieurs millions de francs, à la fondation Neumann de Gingins. Elle n’a revendiqué aucun succès jusqu’ici.

De son côté, la Poste avait offert en 1997 un million de francs à quiconque fournirait un indice déterminant lié au « casse du siècle » dont elle avait été victime à Zürich et lors duquel 53 millions de francs avaient disparus dans la nature. Apparemment sans succès.

L’exercice s’est toutefois avéré fructueux pour l’armée suisse, qui, à la suite du vol de 82 fusils d’assauts dans un entrepôt militaire à Marly (FR) en septembre dernier, avait offert une récompense de 20’000 francs à d’éventuels témoins.

« Dans la mesure où les voleurs avaient aussi dérobé des munitions et des culasses, le recours à une prime nous semblait justifié pour des raisons de sécurité, indique Martin Immenhauser, porte-parole de la justice militaire. Ce fût une excellente idée, puisque le butin a été retrouvé grâce à un informateur à peine un mois après le casse. »

Généralement, les auteurs sont découverts grâce à une fuite interne ou à l’occasion d’un recel. « Nous obtenons des résultats en moyenne une fois sur trois », souligne John Shaw, du cabinet parisien S.W. Associates, en charge du dossier Chopard. Bien qu’informelle, la collaboration entre l’assureur et la police devient dès lors inévitable.

« Nos enquêtes se chevauchent, mais notre cible n’est pas la même, poursuit John Shaw. Nous cherchons avant tout à retrouver la marchandise dérobée, alors que la police s’intéresse davantage aux responsables. »

Les deux parties ne disposent cependant pas des mêmes obligations. Contrairement aux policiers, qui ne doivent pas partager leurs actes d’enquêtes, les représentants de la compagnie d’assurance sont tenus de livrer toutes les informations qu’ils obtiennent.

« De toute façon, c’est dans leur intérêt, car d’un point de vue légal ils ne peuvent pas récupérer la marchandise seuls, souligne Patrick Pulh, de la police cantonale genevoise. De notre côté, les récompenses sont les bienvenues: elles agissent souvent comme des accélérateurs de l’enquête. »

Compte tenu de l’ampleur des sommes proposées — souvent plusieurs centaines de milliers de francs –, les annonces dans la presse ou à la télévision obtiennent un taux de réponses gigantesque.

« Toutes sortes de gens nous contactent, parfois même des médiums », sourit John Shaw. Dès lors, comment vérifier la crédibilité des témoignages? « Certains indices nous guident, tels que les demandes d’avances ou la peur de représailles qui amène des personnes à appeler à plusieurs reprises en livrant à chaque fois une petite partie de l’information », précise l’enquêteur.

Le procédé comporte toutefois des effets pervers. Une personne pourrait ainsi commettre un vol dans le seul but de revendre la marchandise à l’assureur. Afin d’éviter ce piège, certains pays précurseurs, comme l’Angleterre, ont dû faire marche arrière: la récompense ne peut désormais y être attribuée qu’après la condamnation du responsable.

« Un processus qui peut parfois s’étaler sur deux ans et qui décourage les gens à fournir des informations », regrette John Shaw, pour qui cette nouvelle législation a « tué le sport ».

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 15 mars 2007.