A Berne, personne ne l’attend au tournant. Le Parti évangélique suisse (PEV) pourrait cependant faire parler de lui aux élections fédérales de l’automne.
Cet outsider continue en effet de progresser, discrètement mais régulièrement, à l’abri des regards et des médias. Les sondages de ces derniers mois lui ont prédit des résultats allant jusqu’à 3,3%, alors qu’ils atteignaient péniblement 2,3% en 2003 et 1,8% en 1999.
Ruedi Aeschbacher, conseiller national zurichois et président du PEV, se montre confiant: «La tendance est à la hausse. Pour les élections fédérales, nous visons 3% au moins et cinq sièges, ce qui nous permettrait de constituer notre propre groupe parlementaire.» Le PEV forme actuellement un groupe au Conseil national grâce à son alliance avec l’Union démocratique fédérale (UDF).
En fait, c’est au niveau local que les succès du parti protestant sont les plus spectaculaires. Dans le canton de Berne, la formation est passée de 6 à 7,3% ces quatre dernières années alors qu’en Argovie, elle a connu une progression de 4,9 à 6% de 2001 à 2005. Au total, elle possède 38 sièges dans les parlements cantonaux.
«Le PEV est devenu un parti à succès, explique Lukas Golder, politologue auprès de l’institut Gfs Berne. Il se trouve systématiquement du côté des gagnants, notamment à Berne.» Ruedi Aeschbacher confirme: «Depuis environ quatre ans, le nombre de nos adhérents augmente chaque année de 4 à 5%. Nous en avons aujourd’hui 4500.»
Le PEV cherche désormais à capter l’électorat romand. Il a fait son entrée au parlement cantonal fribourgeois en novembre dernier avec le siège de Daniel de Roche. «Nous sommes d’autant plus contents qu’il s’agit d’un candidat francophone, issu du district du lac», note Silvia Hyka, coordinatrice du parti pour la Suisse romande.
L’offensive de ce côté-ci de la Sarine s’est poursuivie avec la création en 2004 d’une section dans le canton de Vaud, puis deux ans plus tard à Neuchâtel. Prochaine étape: Genève. «Le PEV genevois est prévu pour ce début d’année si possible.» Pour les élections fédérales, Silvia Hyka espère un résultat supérieur au 1,3% réalisé en Suisse romande en 2003, mais cherche surtout à «mieux positionner le parti sur l’échiquier politique. Beaucoup de gens nous plaçant encore trop à droite.»
Comment expliquer cette nouvelle popularité pour un parti né en 1919 et qui dit «exercer une politique fondée sur l’Evangile et axé sur les valeurs éthiques de la Bible»?
Le parti est très proche des milieux évangéliques en pleine progression actuellement. «Le PEV est particulièrement fort auprès des personnes affiliées aux Eglises», confirme Lukas Golder. Elles constituent près de 30% de ses effectifs, alors qu’elles ne représentent qu’un petit 2% de la population totale, selon le dernier recensement fédéral.
Ces Eglises ont connu un bond spectaculaire entre 1980 et 1990 en Suisse alémanique et une augmentation encore plus importante en Suisse romande entre 1990 et 2000. Au total, elles sont passées de 67 800 membres en 1970 à 140 750 en 2000. Certains observateurs estiment qu’elles pourraient en compter le double.
«Grâce à ce phénomène, nous avons vu s’ouvrir un potentiel électoral très important et intéressant, que nous courtisons activement, notamment au travers des Jeunes PEV», conclut Ruedi Aeschbacher.
La tactique s’avère payante: le baromètre d’Isopublic prédit que 6,2% des 18-34 ans voteront pour le PEV en 2007. «Les groupes évangéliques sont petits mais très bien organisés, actifs et facilement mobilisables», note Lukas Golder. Du côté des Eglises évangéliques, on reconnaît cultiver une forte proximité avec le PEV, tout comme avec l’UDF.
«Je suis pasteur au Palais fédéral et j’ai des contacts avec les deux», note Jean-Claude Chabloz, président du Réseau évangélique, qui regroupe les Eglises romandes de cette tendance.
Reste à savoir quelles formations vont être pénalisées par la progression de ce parti, qui est en fait situé au milieu de l’échiquier politique, juste à la gauche du PDC, selon une étude sur le positionnement des parlementaires parue en décembre 2006.
Le PEV se trouve plutôt à gauche sur les questions environnementales, économiques et de politique étrangère et à droite sur les questions de société (pacs, avortement, assistance au suicide). «Le PEV est le pendant centriste du PDC, sauf qu’il s’adresse à un électorat non catholique», selon Lukas Golder.
Christophe Darbellay, le président du PDC, estime que les deux formations «ne jouent pas tout à fait sur le même terrain. Et les évangélistes n’ont pas le monopole des valeurs chrétiennes!»
Les Verts, alliés au PEV dans les cantons de Fribourg ou de Zurich, ne s’inquiètent pas non plus de la concurrence évangélique. «Nous percevons une certaine ouverture de leur part sur les questions environnementales ou des droits de l’homme, mais ils ne vont pas aussi loin que nous», dit le vice-président Ueli Leuenberger.
Il ne croit pas non plus à une expansion fulgurante. Au PS, on pense que le PEV va surtout capter les électeurs du centre (l’aile gauche du PDC, du Parti radical et des libéraux). Le président, Hans-Jürg Fehr reconnaît toutefois que les socialistes ont eux aussi une aile chrétienne qui «est assez proche des gens du PEV».