Les succès de «Da Vinci Code» et de «La tombe de Jésus» n’en sont que deux exemples: la pensée irrationnelle marque un retour en force. Oui, il y a de quoi s’inquiéter.
L’écrivain André Malraux prédisait il y a longtemps déjà que le XXIe siècle serait marqué par le retour en force du religieux. Alors que notre vieille Europe a plutôt tendance à se déchristianiser ou, pour le moins, à se séculariser, il semble de plus en plus évident que c’est moins le religieux qui nous guette et nous menace que l’obscurantisme.
J’ai suffisamment dénoncé ici-même la mode de l’antiislamisme et les jérémiades bêtifiantes de ces penseurs français aujourd’hui ralliés à la droite sarkozyste pour ne pas y revenir.
A y réfléchir, ce qui déconcerte le plus, c’est le développement à médias ouverts (comme on dirait «à ciel ouvert») du terreau de l’irrationalisme contemporain.
Tout adolescent qui s’est interrogé sur le sens de son existence ou sur celui du monde dans lequel il vit s’est confronté à la question religieuse. Sa quête spirituelle l’a souvent poussé à déborder sur le domaine de la parapsychologie en allant piocher du côté de la kabbale, de l’occultisme, de la magie ou de l’alchimie pour tenter d’y dénicher quelque envoûtante vérité.
Mais après avoir fait le tour de Paracelse ou de Raymond Abellio, il retombe en général sur ses pieds. On peut en voir un exemple dans l’immense mais bref succès d’une revue comme «Planète» lancée en 1961 par Louis Pauwels et Jacques Bergier dont l’abracadabrant salmigondis pseudo-philosophique fut proprement balayé par le mouvement de mai 1968.
Mais reconnaissons au moins à ces sciences absconses et fumeuses le mérite d’avoir coïncidé avec un stade de développement de la pensée humaine et d’avoir eu une raison d’être.
Ce n’est pas le cas de l’irrationalisme contemporain qui enfourche de plus en plus la voie unique mais ô combien périlleuse du négationnisme sous toutes ses formes. Un négationnisme que je définirai comme un déni absolu de vérité.
On le retrouve chez ceux qui persistent contre l’évidence à nier la réalité du génocide planifié des juifs par les nazis. Chez ceux qui pensent que les dizaines de milliers de squelettes arméniens qui jonchent les déserts de Turquie et de Syrie se trouvent là par le plus grand des hasards.
Le négationnisme moderne se retrouve aussi chez ceux qui, prenant Dan Brown à la lettre, pensent que l’histoire racontée dans «Da Vinci Code» est vraie de vraie. Il se développera dès le 4 mars prochain chez ceux qui auront vu le film «La Tombe perdue de Jésus» réalisé par un sombre inconnu, Simcha Jacobovici, mais produit et promu par le célèbre auteur de «Titanic», James Cameron. Un sophiste habile qui ne craint pas d’affirmer: «Certains vont dire que l’on tente de saper le christianisme. C’est loin d’être le cas. Cette enquête prouve l’existence de ces personnes.»
Ben voyons! Comme le disait naguère l’excellent André Frossard, Dieu existe, je l’ai rencontré. Et entre potes, on peut se donner un coup de main!
Péripéties que tout cela, direz-vous. Jésus n’a-t-il pas en son temps pris les devants en chassant les marchands du temple?
Je n’en suis pas certain du tout. Non que la découverte du squelette de Jésus puisse me poser un problème. Il y a belle lurette que j’ai bazardé tout le fatras religieux qui encombrait mon jeune esprit pour ne conserver comme discipline spirituelle que des exercices librement choisis et consentis.
Il y a belle lurette aussi que le christianisme dans la plupart de ses variantes a gratté une bonne partie des couches d’irrationalisme qui le momifiaient, même si parfois le résultat n’est pas à la hauteur de l’attente.
Le pape Benoît XVI en a fait la dure expérience en septembre dernier avec son discours de Ratisbonne, interprété à tort comme un appel à la croisade alors qu’il voulait renouveler son allégeance à la raison.
Aujourd’hui, le triomphe de la déraison, qui n’est autre que l’usage conscient, opportuniste, volontaire de l’irrationnel, passe certes par des flambées comme celles provoquées hier par «Da Vinci Code» et demain par «La Tombe perdue de Jésus». Mais ce ne sont que des épiphénomènes qui fleurissent sur la formidable poussée créationniste qui sévit depuis quelques années aux Etats-Unis et dans certains mouvements européens, comme le prouve le curieux Atlas de la Création distribué à grands frais dans les milieux scientifiques il y a quelques semaines.
Négation absolue non pas de tout progrès, mais de toute évolution, ce fixisme-là nous renvoie aux pires heures du moyen-âge.
Or comme on le constata aux tristes temps du nazisme, la pensée irrationnelle incapable par définition de s’imposer par des arguments, ne peut que recourir à la force brute et fanatisée pour faire prévaloir ses positions.
Si l’histoire nous enseigne une chose, c’est que ces violences-là sont encore pires que les guerres de religions.
