Pris dans une méchante tenaille: voilà un peu la position de la gauche et des Verts dans le grand débat énergétique qui s’amorce. Un débat dans l’urgence, avec une pénurie d’électricité au niveau national annoncée pour 2012.
Pour faire face, Moritz Leuenberger, ministre de l’énergie, a présenté tout un train de mesures bigarrées à ses collègues du gouvernement: on prolongerait la durée de vie des centrales nucléaires actuelles, on construirait quatre ou cinq usines à gaz, avant d’envisager, en tout cas pas avant 2030, la construction de nouveaux réacteurs nucléaires.
Le problème, avec les usines à gaz, dont l’une est en projet à Chavalon, au-dessus de Vouvry, en Valais, c’est, nul ne l’ignore, le rejet important de CO2. Au moment même où le monde entier se tord les mains d’angoisse, sueurs froides sur tous les fronts, devant un réchauffement climatique de moins en moins contestable et dans lequel le CO2 justement se taille la part du gros lion.
Prudent, Moritz Leuenberger a prévu dans son catalogue que 80% des rejets de CO2 provoqués par les futures usines à gaz devraient être compensés. En finançant, en Suisse ou à l’étranger, des formes d’énergies moins polluantes.
C’est le principe du droit de polluer qu’on achète. Mais voilà: la majorité bourgeoise du Conseil fédéral semble pencher, elle, plutôt pour l’option nucléaire sans partage — même si Leuthard et Couchepin se tâtent encore — et donc la mise en route urgente de nouveaux réacteurs dès 2018.
Et c’est là que l’on assiste à un débat plutôt rocambolesque: les parlementaires de droite, pour défendre l’option du tout nucléaire, jouent sur du velours et adoptent un ton, des discours et des arguments dans la plus belle tradition de la logorrhée verte, eux qu’on ne savait pas animés d’une conscience écologique soudain si pointilleuse.
Ainsi, pour vanter l’option «moins polluante» du nucléaire, l’UDC Yvan Perrin invoque «le protocole de Kyoto», que la Suisse a signé, mais pas encore appliqué, et au nom duquel elle devra revoir à la baisse ses émissions de CO2.
Le président des radicaux Fulvio Pelli peint lui aussi le diable du CO2 et de l’irresponsabilité sur les murs de centrales à gaz décidément «trop polluantes», tandis que le nucléaire ne serait «plus une alternative, mais bien une nécessité». Tout aussi radical, Charles Favre, pour enterrer le projet de Chavalon,brandit l’épouvantail de ce réchauffement climatique qui fit pourtant ricaner la droite des années durant.
Voilà donc la gauche et les Verts méchamment piégés. La vice-présidente du PS Ursula Wyss effectue quelques jolies contorsions pour finalement dire que son parti peut «accepter à contrecoeur l’idée de centrales à gaz, plus simples à réaliser que des réacteurs nucléaires et sans la question des déchets», mais attention, des «centrales à gaz temporaires».
Quant au vice-président des Verts, Ueli Leuenberger, il campe sur un refus «farouche» du nucléaire, «une technologie trop dangereuse, avec un problème de déchets non résolu » et prône les centrales à gaz «mais seulement comme alternative éventuelle, à condition de démontrer au préalable qu’aucun programme d’économies d’énergies ne permet de s’en passer».
Cette valse timorée ne sera pas tenable bien longtemps, avec la prise de conscience mondiale sur le réchauffement, concrétisée par les experts du GIEC. La gauche et les Verts ne pourront pas longtemps soutenir une position comme celle d’EOS, qui veut construire Chavalon et explique que la Suisse émet moins de CO2 que les autres pays européens, et qu’il y a donc encore de la marge.
Ce genre de raisonnements à courte vue passe de moins en moins bien: même Georges Bush a fait acte de contrition devant le réchauffement, c’est dire. Il n’y a plus guère que l’UDC pour le contester encore, ce réchauffement, ce qui n’empêche pas les blochériens de prôner le tout nucléaire, avec l’échevelé manque de cohérence qui fait tout leur charme.
Restent ces fameuses économies d’énergies que la gauche et les Verts, c’est vrai, mettent en avant bien davantage que les centrales à gaz. Certes, 70% des Suisses semblent se prononcer contre une nouvelle centrale nucléaire, et 67% se disent prêt «à prendre moins souvent l’avion», tandis qu’Ueli Leuenberger affirme que «si on coupait le stand-by des appareils électroniques, on pourrait fermer une centrale nucléaire en Suisse».
Mais tout cela sent le bricolage pathétique et le manque de courage. Celui par exemple de dire que le choix n’est peut-être plus qu’entre le nucléaire et le renoncement à ce qui fait l’essentiel de la modernité: la mobilité.
Il reste bien une troisième voie, celle suggérée depuis des décennies par le poète Maurice Chappaz: la «confiance dans la catastrophe», qu’elle soit «écologique, économique ou climatique», et seule capable, selon lui, d’inverser le cours des choses, de régénérer la planète et, accessoirement, l’humanité, ou du moins ses quelques survivants.
A cette aune, nucléaire et CO2 sont porteurs des mêmes promesses.