La gauche et la droite se retrouvent avec un référendum contre la révision de l’Assurance invalidité. Les beautés de la démocratie directe feraient presque prendre en pitié le dur métier de politicien.
«Ces gens-là croient-ils vraiment ce qu’ils disent? Autrement dit, certains politiciens sont-ils aussi sots que leurs arguments ou prennent-ils leurs interlocuteurs pour des imbéciles?» C’est la question que se posait la semaine dernière un vieux routinier de la politique fédérale, D.S. Mieville, correspondant parlementaire pour Le Temps.
Politicien, pourtant, c’est un métier de fou, qui devrait inspirer, presque, de la compassion. Il faut les voir ces jours-ci se livrer à une bataille de chiffres et de chiffonniers sur l’invérifiable trou noir de la caisse unique. Ou quasi s’invectiver au prétexte d’une proposition complètement virtuelle des radicaux genevois (la suppression de l’impôt fédéral direct) dont on sait qu’elle ne figurera jamais, ou pas avant des lustres, à l’agenda de la réalité, et qui ne sert que de gadget à meubler la campagne électorale naissante.
Et puis, après avoir vanté à longueur de journées, de mois et d’années, les mérites de la glorieuse démocratie directe, chacun se présentant comme son plus sourcilleux défenseur, voilà aujourd’hui nos politiciens face à un référendum auquel personne ne croyait. Tout cela parce que deux minuscules associations de handicapés — «Cap contact» à Lausanne et le «Centre pour la vie autonome» de Zurich, fortes d’une petite centaine de membres — se sont entêtées et ont récolté les signatures nécessaires pour contester la cinquième révision sur l’Assurance invalidité (AI).
La droite, emmenée par une UDC pratiquant son sport favori (la chasse aux abus) l’avait mise sous toit au pas de charge, cette révision d’une assurance endettée jusqu’au trognon — 9 milliards cumulés — avec à la clef une baisse drastique des prestations et du nombre de nouveaux rentiers.
La gauche s’était contentée d’une mauvaise humeur de principe mais avait jugé que ce combat-là n’était pas gagnable, et surtout casse-gueule en période électorale. Avant de devoir, malgré elle, prendre en route le train lancé par les petites associations: le PS ne s’y est rallié que tardivement et sous la pression de la base.
C’est donc, au moment de la remise des signatures à Berne, un aveugle, nommé Roger Cosandey, qui a lu en braille un texte de présentation. Il a dit notamment qu’il n’était pas admissible qu’on s’attaque d’abord à de prétendus abus avant de songer à un mode de financement durable.
L’AI, en effet, s’endette mécaniquement chaque année de 1,5 milliard. Les mesures prévues par la révision — encouragement à la réinsertion professionnelle, suppression de la rente complémentaires pour les conjoints et des augmentations de rentes basées sur la carrière hypothétique du rentier — ne suffiront largement pas à assainir l’institution.
Parallèlement donc à la révision, un programme de refinancement de l’AI est discuté ces jours aux chambres, avec, en mars, une décision ou un renvoi aux calendes grecques.
Deux pistes sont examinées pour remettre l’AI sur les rails: augmentation de la TVA ou augmentation des cotisations salariales. L’UDC se prononce pour un report du programme de financement et prône de nouveaux tours de vis dans les prestations, avec l’espoir presque avoué de voir l’AI s’endetter jusqu’à extinction et en continuant à vitupérer contre tous ces tricheurs en chaises roulantes, ces abuseurs à lunettes noires, dont certains, en plus, ne sont même pas suisses.
La balle est donc dans le camp de la gauche et de la droite modérée. C’est d’ailleurs en estimant que mieux valait concentrer le combat sur un programme de refinancement que les grandes associations de défense des handicapés comme Pro Infirmis se sont d’abord opposées au référendum.
Mais voilà, ces belles promesses, les référendaires comme Cap Contact n’y croient pas, doutant de voir des parlementaires proposer en période électorale une augmentation de la TVA ou des cotisations salariales.
On le voit, handicapé du bulbe ou gros malin, politicien, c’est un métier de fou et même de «founambules». Avec, en cas de chute, même pas la possibilité de recourir à l’AI.
