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Quelques mots à propos des bases américaines en Europe

Boucliers antimissiles et bases militaires reviennent dans l’actualité polonaise, tchèque, roumaine et bulgare. Pourquoi les casquettes du Pentagone regardent-elles en arrière, vers la guerre froide?

G. W. Bush parle d’environnement ou de questions de santé, mais il pense à la guerre, la prépare, s’y prépare. Le président-commandant en chef dispose encore de deux années pour mettre les Américains (et le monde) devant le fait accompli.

La guerre au terrorisme est déjà vieille de six ans et ce n’est que maintenant qu’elle commence à susciter par-ci par-là des oppositions déterminées. Pourtant les métastases de cette sale guerre ne cessent de se répandre.

Après les opérations en Somalie, le Pentagone aligne un porte-avions supplémentaire dans le Golfe, face aux côtes iraniennes. L’étau se resserre si ostensiblement sur l’Iran que certains analystes américains se demandent si, malgré ses dénégations, le président Bush n’a pas déjà donné l’ordre de mener des opérations à l’intérieur des frontières iraniennes.

Les démentis ne seraient que poudre aux yeux, des mensonges à l’image de ceux proférés par Richard Nixon niant en 1970 les opérations américaines en territoire cambodgien.

Ce rappel de la guerre du Vietnam n’est pas anodin. On le sait, les généraux sont toujours en retard d’une guerre. A voir ce qui se passe en Europe de l’Est, c’est peut-être de deux guerres qu’ils retardent. Enthousiasmés par le soutien obtenu dans la «nouvelle» Europe pour leur invasion de l’Irak, les stratèges américains ont décidé qu’il y avait là un capital de sympathie à exploiter sans tarder. Alors que dans un premier temps, Washington s’était contenté d’occuper le terrain abandonné par les Russes, tout indique qu’aujourd’hui, le Pentagone réfléchit à nouveau comme au temps de la guerre froide.

La manœuvre est particulièrement visible si l’on suit ce positionnement à l’Est dans son déroulement chronologique. Les Américains ont commencé par utiliser l’OTAN qui engloba en 1999, Boris Eltsine régnait encore, trois pays de l’ex-Pacte de Varsovie, la Pologne, la République Tchèque et la Hongrie.

Ce fut ensuite le tour, en 2004, de l’Estonie, de la Lettonie, de la Lituanie (ex-Union soviétique); de la Bulgarie, de la Roumanie, de la Slovaquie (ex-Pacte de Varsovie) et de la Slovénie (ex-Yougoslavie). Un rapprochement devant aboutir à une future adhésion a eu lieu avec l’Albanie, la Croatie et la Macédoine. Pour l’Ukraine et la Géorgie, le doute a succédé à l’enthousiasme provoqué par les changements de régime.

Or même si la différence est ténue, l’OTAN n’est pas le Pentagone et les Américains, on peut les comprendre, préfèrent être vraiment seuls à décider. Ils ont profité de l’américanophilie candide de Berlusconi pour négocier un redéploiement de leurs forces vers le sud de l’Europe.

Après avoir décidé de transférer de Londres à Naples le quartier général des Forces navales en Europe où opère l’amiral américain, qui est en même temps commandant des Forces navales américaines et de la Force de riposte de l’Otan, ils sont en passe d’agrandir (au milieu des protestations!) la base aérienne de Vicence et lorgnent du côté d’Augusta en Sicile orientale pour en faire une base navale.

Ces forces dépendent de l’Eucom (Commandement européen des Etats-Unis), dont l’aire opérationnelle comprend toute l’Europe, une partie de l’Afrique et certaines parties du Moyen-Orient.

Elles sont insérées dans la chaîne de commandement du Pentagone et donc hors de tout mécanisme décisionnel des pays dans lesquels elles se trouvent. C’est dire que leur rôle est non seulement militaire mais aussi très politique.

La même chaîne de commandement s’applique aux bases obtenues l’an dernier des autorités roumaines et bulgares. En Roumanie, les Etats-Unis disposeront sous peu d’une grande base aérienne doublée de grandes facilités navales près de Constantsa, le grand port de la mer Noire. Les troupes (1500 hommes) seront au complet vers Pâques.

En Bulgarie, ce ne sont pas moins de quatre bases aériennes, une base terrestre et un port (Burgas) qui sont mises sous le contrôle du Pentagone pour des «missions en pays tiers sans l’autorisation spécifique des autorités bulgares».

Le prétexte de ce déploiement était double: occuper le terrain après le retrait de la puissance soviétique et servir de relais pour les opérations au Moyen-Orient, l’Irak n’étant guère qu’à 1500 km. C’était une manière d’allier le nécessaire (le relais) à l’agréable — surveiller la Russie de près.

Avec le pas en avant qui est en cours en Pologne et en République tchèque, il en va différemment. C’est là que l’on a l’impression que les casquettes du Pentagone regardent en arrière, vers la guerre froide.

Je veux parler de ces boucliers antimissiles que les Américains veulent dresser en Pologne et en République tchèque. Le prétexte est futile: Washington désirerait se protéger l’Europe des missiles (inexistants) de la Corée du Nord et de l’Iran!

Il s’agit en réalité de dire clairement à Monsieur Poutine qu’il n’est pas seul maître à bord et que s’il veut pratiquer une diplomatie offensive (sur l’énergie ou sur la Transnistrie, le Kosovo, la Géorgie, etc.), il ne doit pas oublier qu’il y a, dans la région, plus fort que lui.