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Des candidats à la présidentielle inspirés par la Suisse

Plusieurs prétendants à l’Elysée voient dans le système suisse un modèle pour l’Hexagone. Portraits.

Ces jours-ci, la Suisse fait beaucoup parler d’elle en France pour avoir offert l’asile fiscal à Johnny Hallyday. Les critiques pleuvent contre la Confédération, accusée d’offrir des conditions trop généreuses à la star hexagonale.

La charge la plus récente est venue de la prétendante socialiste à la présidence Ségolène Royal, par l’intermédiaire de son porte-parole Arnaud Montebourg. Parmi la quarantaine de candidats déclarés à la présidentielle, tous ne sont pas aussi catégoriques. Trois d’entre eux se distinguent même par leur helvétophilie.

Le plus flamboyant, Jean-Philippe Allenbach, 59 ans, ne demande rien de moins que le rattachement de sa région, la Franche-Comté, à la Suisse. Se présentant comme le candidat de «la province contre Paris», le Franco-Suisse a émis cette proposition d’annexion volontaire en 2005 au lendemain du «non» français à la Constitution européenne.

«Quitte à rester à l’écart de la construction européenne, autant choisir de vivre dans un pays au taux de chômage inférieur à 4% et au pouvoir d’achat largement supérieur au nôtre», justifie-t-il.

Il estime que «si les hasards de l’histoire avaient fait de la Franche-Comté un canton suisse — comme Genève qui ne s’en est d’ailleurs jamais plaint –, ses habitants vivraient mieux et son identité culturelle et politique serait bien mieux respectée grâce au fédéralisme».

Les Suisses y trouveraient aussi leur compte. «Cela réunifierait le Jura et rééquilibrerait la Suisse romande par rapport aux Alémaniques. Nous avons beaucoup de points communs: les Francs-Comtois sont travailleurs, paient leurs impôts, parlent la même langue et ont une industrie horlogère. Ils se sentent plus proches de la mentalité du Jura que du Pays basque.»

Sa proposition explosive va être relayée en ce début 2007 par la Ligue savoyarde et les indépendantistes alsaciens, qui ont décidé de soutenir sa candidature.

Pour ce ressortissant helvétique, qui s’était déjà fait remarquer en 1998 pour avoir diffusé illégalement Couleur 3 à Besançon sur un émetteur de fortune, l’attachement à la Suisse paraît tout naturel: une grande partie de sa famille y réside, son frère y étant même producteur de radio et télévision. Lui-même a vécu plusieurs années à Zurich et a fondé une société de conseil financier basée à Zoug.

Et s’il est peu probable que la Suisse soit prête à accueillir la Franche-Comté avec son 1,1 million d’habitants et ses 16 000 kilomètres carrés représentant un tiers de sa superficie, Jean-Philippe Allenbach dispose d’un «allié» inattendu en la personne de Christoph Blocher.

Lors de son discours à l’Albisgüetli en 2001, le futur conseiller fédéral avait en effet évoqué un rattachement à la Suisse de certaines zones frontalières. «Il voulait dire que ces régions voisines, qui ne se sentent plus représentées par le centralisme de Bruxelles, pourraient bien un jour préférer notre fédéralisme à l’UE», détaille le conseiller national UDC Christoph Mörgeli.

Malgré tout, Jean-Philippe Allenbach ne se considère pas comme un séparatiste. «Je n’ai pas de haine viscérale de la France, comme les nationalistes corses. Si elle change, je reste. J’aime ce pays.» Le Franc-Comtois, qui dit se situer entre Daniel Cohn-Bendit (Vert) et François Bayrou (centre) sur l’échiquier politique, a donc pour programme la création d’une VIe République fédéraliste.

Grand admirateur du Neuchâtelois Denis de Rougemont, il dénonce «le jacobinisme et le centralisme français, un système dépassé qui ne marche plus et qui suscite une culture d’irresponsabilité généralisée».

A l’inverse, «le fédéralisme suisse a fait ses preuves, tant au niveau de l’emploi, que du pouvoir d’achat ou des salaires. A l’heure de la mondialisation, les systèmes qui marchent le mieux sont ceux où les choses se décident au plus bas.» Concrètement, il souhaite voir deux tiers de l’impôt revenir aux régions, contre un tiers actuellement. De même, il encense la concurrence fiscale helvétique, celle-là même qui a attiré Johnny Hallyday.

«Le mythe de l’égalité française suscite en fait de l’inégalité: les impôts étant partout identiques, les entreprises préfèrent s’installer à Paris et des régions comme la Creuse se désertifient.» Le fédéralisme, il l’imagine également au niveau européen: «Je suis pour la création des Etats-Unis d’Europe à partir des six pays fondateurs, plus l’Espagne et le Portugal.»

Malgré cette foison de propositions, le cofondateur du Parti fédéraliste français (PFF), qu’il a quitté en 2006, n’est pas dupe quant à ses chances d’accéder à la présidence. «J’ai 432 promesses de signatures de maires (il en faut 500 pour se présenter, ndlr), mais ce qui compte c’est d’obliger les autres candidats à intégrer la décentralisation dans leur programme. Ils ont déjà commencé à voir qu’il s’agit d’un créneau porteur: Ségolène Royal a annoncé sa candidature depuis la province.»

Deux autres candidats à la présidence revendiquent un héritage suisse. Christian Chavrier est l’actuel président du PFF. Son programme, très proche de celui de Jean-Philippe Allenbach, est légèrement plus modéré. «Il s’agit de sortir d’une décentralisation ratée pour aller vers une régionalisation réussie, en s’inspirant de ce qui fonctionne en Suisse, comme la démocratie directe, mais sans copier son fédéralisme», explique le Français de 41 ans.

Contrairement à son ancien collègue de parti, il dit «ne pas remettre en question la souveraineté française» et ne pas avoir de visées séparatistes. Il estime ses chances de figurer au premier tour minces, malgré ses 349 promesses de signatures. «Je laisserai ma trace politique dans le pays en ancrant la question fédéraliste dans le débat présidentiel.»

Autre candidature, plus fantaisiste, celle d’Yvan Bachaud, 67 ans. Ce dentiste retraité, qui se décrit lui-même comme un «justicier monomaniaque», milite pour l’introduction d’un droit d’initiative et le référendum populaire en France.

«Tous les partis politiques le promettent depuis 13 ans, Jacques Chirac l’avait même inscrit dans sa profession de foi au second tour en 2002. Mais aucun ne l’a fait. C’est grave!» s’insurge le Lyonnais. Il ne connaît la Suisse qu’à travers une amie et la lecture de ses journaux mais admire son système politique, qui a permis au peuple de refuser la privatisation de l’électricité ou de réclamer un moratoire sur les OGM.

«Le peuple français, lui, n’a aucun moyen de s’exprimer. Le référendum est le seul outil qui permette aux gens de réagir si les promesses du pouvoir ne sont pas tenues.»

Ses chances de récolter suffisamment de signatures sont minimes: «Sur 500 demandes, je n’ai reçu que cinq réponses, toutes négatives.» Yvan Bachaud appelle tout de même à voter pour lui aux deux tours. «Ce sera un vote protestataire!» Quand la Suisse sert de modèle aux révolutionnaires…