«Les examens universitaires et l’heure de l’apparition», pièce en un acte écrite par Abbas Nemati, Hamed Ahangari et Mohammad Reza Namnamat, étudiants à l’école polytechnique. Parue à 150 exemplaires dans «Mowj», une revue estudiantine iranienne.
Acte I, Scène I (la nuit, à la maison)
Abbas termine ses prières et reste agenouillé vers la Mecque.
Abbas (voix implorante): «O mon Dieu! Précipite la réapparition de l’Imam du Temps! O Seigneur, fais-moi voir son visage radieux. O Dieu, fais-moi devenir l’un de ses disciples. O Dieu! Réponds, je t’en prie, à mes prières ce soir et fais moi réussir mes examens universitaires. O Dieu! Tu sais que je brûle d’être utile à l’Imam du Temps lorsqu’il reviendra faire régner la justice sur terre. C’est ma seule raison de vivre.»
Abbas se lève, essuie les larmes de son visage. Il remballe son tapis de prière.
Scène II (la nuit, dans la rue)
Abbas marche vite. Il semble en retard. Soudain, une main se pose sur son épaule et la voix d’un jeune homme l’interpelle.
Abbas (sans se retourner): «Si tu débarques tout juste de province, qu’on t’a volé ton porte-monnaie et que tu es perdu à Téhéran, on me l’a déjà faite. Je n’ai pas un sou pour toi, vas-t’en et travaille.»
– «Non, Abbas, je ne suis pas égaré. Je suis même venu te montrer la voie.»
Abbas se retourne d’un coup. C’est un homme vêtu d’une longue robe qui se tient en face de lui.
– «Tu connais mon nom?»
– «Je ne connais pas seulement ton nom, mais tous les secrets de ta vie. Ceux que tu as confessés et ceux que tu as gardé pour toi, Abbas! Je suis l’Imam du Temps.»
– «Tu plaisantes!»
L’homme secoue la tête en signe de négation. Après quelques secondes de stupeur, Abbas se jette à ses pieds. Il se frotte à la jambe de l’homme comme un chien le ferait et dit:
– «Mon Seigneur! Mon Seigneur!.. Où étiez-Vous passé? Mon Seigneur! Je suis Votre humble serviteur. Mon Seigneur! J’aimerais mourir pour Vous.»
– «Ne te mets pas à geindre, Abbas. Ce n’est pas le moment. Abbas, sais-tu pourquoi je suis venu vers toi?»
– «Seigneur! Personne ne sait mieux que Vous.»
– «Je dois rassembler 313 disciples. Veux-tu être l’un d’eux?»
– «Comment ne pas vouloir, Seigneur! Je ne suis vivant que par amour pour Vous. Si je pouvais, je serais les 313 disciples à moi tout seul.»
– «Rase-toi la tête vendredi. A huit heures du matin, tu iras à l’avenue de la Révolution (Enquelaab, avenue du centre de Téhéran, toujours congestionnée, ndlr). Lorsque je ferai mon apparition, tu trouves des partisans et on mène l’assaut final.»
Abbas, interloqué: «Vendredi?»
– «Oui, pourquoi, c’est trop tard?»
– «Heum…, eurr…, on a les examens universitaires vendredi, à huit heures justement. On peut pas déplacer à samedi?»
– «Non, impossible. C’est la volonté de Dieu que cela se passe vendredi.»
Abbas prend une pose de supplication.
– «Impossible, j’ai dit.»
– «Attends, Imam. Je te demande pas d’attendre les résultats des examens. Je dis samedi. Tu t’es caché mille trois cents cinquante-quatre ans et cinquante-cinq jour. Tu ne peux pas attendre un jour de plus pour moi?»
– «J’ai dit que ce n’était pas possible. Le monde est plein de tyrannie et d’oppression.»
Abbas: «Attends, Mon Seigneur. Je sais ce qui va se passer si tu commences ta révolution demain. Tu vois, une révolution, on en a déjà subi une. Je vais louper les examens. Ta révolution va durer un an ou deux, après il y aura une révolution culturelle, ils vont fermer les universités pour deux ou trois années supplémentaires. Et quand elles rouvriront, au lieu de un ou deux millions d’étudiants qui voudront y entrer, on sera sept ou huit millions aux examens. Et encore, je ne compte pas tous ceux qui seront importés d’Asie et d’Afrique. A ce moment, j’aurais oublié tous mes cours et je pourrai m’asseoir sur mes études.»
– «Mais tu a toujours prié pour que j’apparaisse le plus vite possible. Tu voulais être l’un de mes disciples.»
– «Je le veux toujours, Mon Seigneur! Mais si je deviens membre de ton équipe demain, je serai ministre sans culture et sans formation. Alors qu’il nous faut des experts. Tu étais bien caché quand notre révolution a eu lieu. Cela s’est passé comme ça. Tiens, regardes mon père. Je veux pas être méchant, mais il en a bavé pour la révolution. Il a fait de la prison et n’a rien étudié du tout. Bon. Après la révolution, on lui a filé un poste à haute responsabilité, à cause de son passé, tu vois. Pardonne-moi l’expression, mais il a foutu un bordel monstre jusqu’à ce qu’on le remplace par un soi-disant expert, qui n’a pas fait mieux. Vraiment, j’aimerais pas que cela se reproduise.»
– «Dieu tout puissant a décidé. Si tu refuses de devenir un martyr…»
Abbas: «Quoi? Tu deviens pire que ces mollahs. Ils nous ont tellement promis et regarde ce qui s’est passé. Tu es à peine de retour que tu décides que je dois être un martyr. O Seigneur! Ne me parles pas comme ça. Je te reproche rien, parce que je t’aime, mais si tu commence comme ça, les autres disciples vont te décrocher un direct au menton et te dire qu’ils préfèrent s’occuper de leur femme et de leurs enfants.»
– «Tu n’aime par le martyre?»
– «Moi? Je mourrais pour être martyr. J’adore le martyre. J’aimerais être cent fois martyr. Mais cela ne dépend pas que de moi. J’ai des responsabilités, tu le sais mieux que moi. Platon explique que chaque homme cherche la moitié qui lui manque. Si je deviens martyr, ma moitié manquante épousera quelqu’un d’autre. Ils se disputeront, éduqueront mal leurs enfants et toute leur progéniture en sera chamboulée.»
– «Assez. J’ai compris. Je dois partir.»
Abbas: «Et encore, je ne te parle pas de l’autre femme qu’aurait dû épouser cet homme. Elle va à son tour se tromper de mari…»
L’homme se dégage d’Abbas, qui lui attrape la main: «Eh, tu vas où? Tu pense que je vais te laisser me faire louper les exas?»
Abbas saisit un couteau dans sa poche. La scène s’assombrit. Des lumières clignotes.
Scène III (un groupe de prière, tard le soir)
Chacun est assis et tient le Coran dans ses mains, en chantant des prières. Abbas aussi. Il se frappe et il chante plus fort que les autres. «O Dieu! Précipite la réapparition de l’Imam du Temps!» Abbas pleure bruyamment.
FIN
Note de l’auteur de la pièce: J’ai lu certains textes religieux qui prétendent que si on avait cherché l’Imam du Temps aussi bien qu’on cherche une chaussure égarée, on l’aurait déjà trouvé.