Les infos, il a toujours adoré ça. «Mais je suis un mec de l’internet», dit Michael Tippett pour expliquer sa démarche. On se prend alors à l’imaginer à l’autre bout du fil, à Vancouver : l’homme qui est en train de bouleverser les traditions journalistiques avec son site Nowpublic.com et qui fait de tout internaute un reporter potentiel, a donc cette voix. Elle est jeune (Tipett a 36 ans) et dynamique quand celui-ci explique avoir voulu créer un «nouveau moyen d’expression».
NowPublic.com a vu le jour en mars 2005. Pour lancer le site, Tippett s’est entouré de deux autres trentenaires: Leonard Brody, un entrepreneur, et Michael Meyers, un as de la technologie.
«J’ai eu l’idée de Nowpublic.com quand je me suis rendu compte que ce que j’écrivais sur mon blog consacré à l’impact de la technologie sur le grand public n’intéressait de loin pas autant les internautes que les témoignages des gens eux-mêmes, explique Michael Tippett. J’ai réalisé que l’on pouvait utiliser les outils de communication à notre disposition pour lancer un site d’information réalisé par ses utilisateurs.»
Aux Etats-Unis, ce mouvement naissant stimulé par NowPublic.com a un nom : le citizen journalism (journalisme citoyen). L’idée de base est que tout événement est potentiellement une information pour les internautes. Michael Tippett: «Si vous voyez quelque chose, filmez-le, enregistez-le, photographiez-le et chargez-le sur notre site. Quel que soit le format, nous le diffuserons.»
Nowpublic.com affirme avoir aujourd’hui plus de 31’000 «reporters» dans 130 pays. «Ces gens font ça bénévolement, juste pour le plaisir. Mais comme pour la plupart des sites de partage d’informations, la grande majorité de nos utilisateurs ne sont pour l’instant que des «consommateurs». Je dirais que pour un contributeur, il y a 1000 visiteurs.»
Le pionnier du journalisme citoyen a d’abord commencé avec un simple software de blog avant de se tourner vers drupal.org, une plateforme de gestion de contenu. Les débuts sont classiques: ils reposent sur des cartes de crédits que «nous avons chargé au maximum» et des «efforts financiers de nos proches qui croyaient en nous», dit Tippett en riant. Le jeune entrepreneur contourne les questions sur la mise nécessaire pour lancer sa société. Il parle en revanche de la somme (1,4 million de dollars, soit 1,7 million de francs) investie en 2006 par des fonds d’investissement.
NowPublic.com ne gagne actuellement pas d’argent. Ses premiers revenus sont planifiés pour 2007 via notamment un service payant d’informations à la carte. La société de Vancouver tourne pour l’instant avec quinze employés répartis entre Vancouver, New York et la Hongrie d’où sont issus quatre informaticiens de son équipe de développement. Le nombre de visites sur le site est gardé secret mais double tous les trois mois, selon Michael Tippett.
A l’heure où les journaux traditionnels cherchent des solutions online pour développer l’intéractivité avec leurs lecteurs, le modèle NowPublic.com a ses limites. «Nous sommes forcés de nous reposer sur l’honnêteté de contributeurs et sur la perspicacité des lecteurs qui nous préviennent quand il y a des erreurs et des sources peu fiables», reconnaît Michael Tippett. Il voit d’ailleurs sa société comme un complément aux médias trationnels.
J.D. Lasica, créateur du site Ourmedia.org à San Francisco et l’un des pionniers du citizen journalism, acquiesce: «Je pense qu’il y aura une période de transition et des rencontres occasionnelles entre le journalisme citoyen et traditionnel.» Il mentionne à ce propos le site de la chaîne de la télévision MSNBC qui avait accueilli les contributions de reporters citoyens en août 2005, lors de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans.
Ancien reporter au San Jose Mercury News en Californie, Dan Gillmor est aujourd’hui actionnaire de Backfence.com, un site qui s’est lancé dans le journalisme citoyen micro-local par opposition à l’approche globale de NowPublic.com. «Les deux modèles sont viables, assure Gillmor. Car certains internautes sont aussi frustrés de la couverture de l’actualité locale.»
Du côté de Vancouver, Michael Tippett affirme que la vente de Youtube.com pour la somme astronomique de 1,65 milliards de dollars (2 milliards de francs), ne lui ont pas donné des idées: «Notre intention n’est pas de vendre, conclut-il. Mais sait-on jamais». A l’autre bout du fil, le ton de la réponse est resté détendu. Avec peut-être une petite pointe de malice.