Le gouvernement des Etats-Unis envoie de nouvelles troupes en Irak. Depuis lundi, il bombarde la Somalie. On annonce 150 morts en Afghanistan. En répondant au désaveu de ses électeurs par une escalade militaire, le président américain aggrave son cas.
Les énormes avancées technologiques de ces dernières années ont rendu dérisoire tout espoir de «privacy», de vie privée protégée des regards extérieurs. C’est valable pour l’individu comme pour les institutions. Chacun en est conscient et tente de se mettre à l’abri en multipliant serrures, cadenas, clés et mots de passe. Rien n’y fait.
Un garnement roumain vivant dans une province reculée vient de s’introduire dans les ordinateurs les plus sophistiqués de la NASA, un des lobes du cerveau mondial. Devant les caméras son paternel s’excuse, vaguement inquiet: «Mon jeune s’amusait, il ne pensait pas à mal!» Washington demande son extradition et lui promet un demi-siècle d’emprisonnement, mais des multinationales offrent des fortunes pour capter son génie.
Moralité: quand je tape un mot de passe sur mon clavier, je souris en me disant que ma seule protection est le peu d’intérêt que j’offre à la curiosité de mon prochain.
A l’autre bout du monde, faisant fi des avancées de la technologie, quelques fanatiques avides de vengeance exécutent leur ancien dictateur. Avant que la révolution française ne fasse paradoxalement progresser les droits de l’homme (et aussi de la femme, et même des enfants et des vieillards, chère Madame Calmy-Rey) en coupant quelques milliers de têtes, les exécutions étaient publiques et particulièrement goûtées par les dames de la haute société friandes de décollations, de pendaisons, d’écartèlements. C’est compréhensible, ces malheureuses ne connaissaient pas les délices de la télévision.
Aujourd’hui, justement, quand on pend, on n’oublie pas la télévision: la corde est d’une épaisseur suffisant à convaincre le dernier myope du Missouri ou du Nouveau-Mexique. Comme il s’agit de ne pas perdre une miette du spectacle, une caméra cachée s’attardera sur le cou rompu et disloqué, reprendra – en couleur – une joue ensanglantée.
On s’est beaucoup étonné de ces images volées. Je peine à suivre: une exécution n’a de valeur qu’exemplaire, cachée elle ne sert pas à grand chose. C’est l’exécution elle-même qui était indécente. Avec la mauvaise foi qui l’entoura: la distance soudain prise par les Américains qui prétendaient ne pas lui être favorable tout en livrant le futur pendu à ses bourreaux. C’est Blair qui, avec un aplomb de faux-cul, regrette une semaine plus tard que le travail n’ait pas été fait proprement. Comme si ses hommes, à Bassora, travaillaient proprement.
Depuis que l’homme (et la femme aussi, chère Madame la Présidente…) existe et qu’il vit en société, il débat régulièrement de la question du tyrannicide. A-t-on le droit de tuer celui qui tue pour régner? Les philosophes ont glosé d’abondance. Les victimes, elles, pour peu que le malfrat qui les a fait souffrir leur tombe entre les mains, ne tergiversent pas souvent. Elles le zigouillent. Ce n’est jamais propre, mais c’est efficace.
Aujourd’hui, notre civilisation ayant accompli d’indiscutables progrès, une bonne partie des Etats de la planète s’est accordée pour éviter cette justice sommaire et remettre les grands criminels politiques à un Tribunal Pénal International inspiré de l’expérience du tribunal de Nuremberg (1945). Ces TPI (à La Haye, à Arusha) ont l’avantage indiscutable de pratiquer une justice distante et équilibrée. Tout le monde le reconnaît, sauf le gouvernement des Etats-Unis qui a peur de voir un jour un de ses présidents dans le box des accusés. Monsieur G. W. Bush, par exemple.
Car en décidant de répondre au désaveu de ses électeurs par une escalade dans la présence militaire américaine au Moyen Orient, Bush aggrave encore son cas. Les boys (et les Irakiens) se font tuer à cause de ses mensonges. Maintenant ils vont l’être de surcroît au nom d’un abus de pouvoir. Cela promet d’être cauchemardesque.
Le gouvernement des Etats-Unis envoie de nouvelles troupes en Irak. Mais il y a une dizaine de jours, il avait déjà décidé d’envoyer un porte-avions supplémentaire dans le Golfe, au large des côtes iraniennes. Depuis le début de la semaine, il bombarde la Somalie. Au moment où j’écris, une dépêche tombe qui annonce 150 morts en Afghanistan.
Pour qui se souvient de la guerre du Vietnam, ces décisions rappellent de fort mauvais souvenirs. Les objectifs sont certes différents. Au Vietnam, il s’agissait de lutter contre l’expansion communiste. En Irak, il s’agit toujours plus de gagner du temps pour peaufiner le partage des richesses pétrolières entre les grandes compagnies transnationales comme le révèle l’Independent on Sunday.
Or si mettre la main sur la troisième réserve mondiale de pétrole semble un objectif clairement défini, discutable mais précis, il y a une chose qui me gêne dans les mesures annoncées par le président Bush. Il dit vouloir renforcer les troupes américaines dans la province d’Al-Anbar, un bastion sunnite éloigné des champs de pétrole. Par ailleurs, il renouvelle sa confiance au gouvernement chiite de Nouri al-Maliki dont les yeux se tournent langoureusement vers Téhéran. Et il veut en plus obtenir le soutien des pétromonarchies du Golfe qui, elle, sont sunnites.
N’est-ce pas beaucoup exiger? J’ai beau retourner la question dans tous les sens, la réponse m’échappe. A tel point que j’en arrive à me demander si le seul cerveau vraiment impénétrable sur cette planète, le seul qui garantisse à son possesseur une totale privacy, n’est pas celui du président G. W. Bush.
