Curieusement, Royal et Sarkozy n’ont rien à dire sur la globalisation. Rien sur le rôle du capitalisme financier. Rien sur l’indispensable réforme des institutions européennes et la relance du processus d’intégration.
La campagne électorale française est désormais lancée. Chacun a pris ses marques et après les fêtes de fin d’année, nous aurons droit au festival habituel. Les petites phrases pour commencer, le déchaînement des passions ensuite. A l’approche du premier tour on se demande si la maison France va résister.
Puis la magie des sondages sortie des urnes calme tout le monde et l’on peut passer aux choses sérieuses. A l’empoignade finale. Avec quatorze jours seulement pour emporter la mise. Fin avril début mai, le combat singulier Ségo / Sarko promet d’être homérique, bien que l’une et l’autre aient des airs de louveteaux grandis chez les scouts de France. Bien nets, toujours prêts.
Nous n’en sommes pas là. En attendant, vu de Suisse romande, donc en dehors des enjeux réels, ce qui frappe dans la campagne qui démarre, c’est son caractère rétro. Alors que le monde entier cherche des expressions politiques nouvelles, essaie d’habiller de frais les inévitables gauches et droites, extrêmes ou pas, la France elle se permet de présenter un bel éventail de forces qui étaient déjà archi-mûres dans les années 1930, entre les deux guerres mondiales. Quelle avancée!
A mon extrême droite, le royaliste Villiers (ci-devant vicomte vendéen) tente, en présentant la facture de la guerre de Vendée (1793!), de piquer des voix au frontiste Le Pen qui persiste à croire et à faire croire — au-delà de ses prétendus détails de l’histoire — que l’occupation allemande ne fut pas si terrible. Que ces nazis en somme étaient bien élevés et ne pensaient pas faux.
Au centre droite, François Bayrou, s’essaie à réunir les ouailles dispersées du pays le plus déchristianisé de l’Occident (sondage du Financial Times, 18.12.06) dans une mouvance démocrate-chrétienne à peine masquée. Une idéologie qui connut une brève heure de gloire après la guerre sous le nom de MRP.
A la gauche de la gauche, ceux qui se voudraient antilibéraux n’ont pas cette coquetterie. Le PCF, fondé en 1921, n’a rien retranché de son histoire et il suffit que sa candidate, Marie-George Buffet, ouvre la bouche pour que l’on entende ces accents stalino-thoréziens qui firent beaucoup pour envoyer la classe ouvrière chez M. Le Pen.
Quant aux trotskistes (Olivier, Arlette et les autres…), l’exception française fait qu’il n’existe nul autre pays au monde à pouvoir présenter des échantillons si divers d’une pensée née de la défaite de Trotski en 1927. Nulle part ailleurs on trouvera des centaines de milliers d’électeurs capables de voter pour des gens qui dans leur sectarisme se prétendent les héritiers du «Vieux». A condition bien sûr de faire abstraction de la filière trotskiste des néocons américains qui, eux, font des voix par millions. Et des guerres en veux-tu en voilà.
Passons un peu cavalièrement sur les écolos qui, décidément, ont en France une capacité de conviction et un taux de pénétration dans le tissu social à peu près équivalents à ceux de leurs homologues valaisans. L’engouement soudain pour une vedette médiatique comme Nicolas Hulot ne fait que mettre en évidence le vide béant de l’écologie politique française. Elle ne parvient pas plus que les autres tendances à battre en brèche les deux piliers toujours actuels du nationalisme français qui s’appellent souverainisme et jacobinisme. De droite et de gauche, l’inverse étant aussi valable.
Cela signifie que les deux principaux candidats à la fonction présidentielle, tout en agitant des hochets tels que la démocratie participative (Royal) ou la sécurité (Sarkozy) font leur possible pour éviter quelques questions de fond, qui, pourtant, sont discutées dans tous les centres métropolitains de la planète.
Ils n’ont rien à dire sur la globalisation et les mesures à prendre pour en réduire les excès. Rien à dire sur le rôle indu joué par le capitalisme financier et ses conséquences désastreuses sur l’écologie. Rien à dire sur l’indispensable réforme des institutions européennes et la relance du processus d’intégration.
Pour revenir au ras des pâquerettes, comment, dans un pays où les banlieues sont en jachères depuis une bonne trentaine d’années, est-il possible de faire une campagne électorale sans parler des colonies? Et ce, même si ces colonisés ont échangé leur servitude contre le RMI.
S’il en est toujours ainsi, c’est qu’en France, la gauche et la droite sont atypiques. Pour faire bref, disons que les socialistes pratiquent un socialisme original qui leur permet de passer une vingtaine d’années sous la bannière du mitterrandisme (dont, soit dit en passant, un des hérauts, Roland Dumas, assiste aux meetings lepénistes de Dieudonné) qui est au socialisme ce qu’Ecône est au Vatican. Pas plus que l’écologie, la social-démocratie n’est parvenue à faire son trou en France, les avanies subies par Rocard et Strauss-Kahn en témoignent.
Quant à Nicolas Sarkozy, il se voudrait libéral, mais n’est pour l’instant que le premier flic de France. Du libéralisme, il retient surtout son traitement prédateur de l’économie, pas les valeurs morales qui permettraient d’intégrer les immigrés.
Pour indiquer sa préférence, il est allé serrer la main de quelques néoconservateurs américains. Mais comme il ne peut envisager de gagner la présidentielle sans séduire une partie au moins des gaullistes, il devra lâcher du lest en préservant le rôle de l’Etat et un certain protectionnisme.
Il n’en reste pas moins que si les grands candidats de la gauche et de la droite ne parlent pas au nom de partis correspondant exactement à ce que l’on apprend dans de doctes cours de science politique, ils représentent vaille que vaille les espoirs de millions de citoyens qui aspirent à un changement de leur condition.
C’est peut-être ce qui, pour nous Romands, fait la différence et suscite l’envie si ce n’est l’admiration. Car si la France est délicieusement rétro, nous, nous sommes carrément rétrogrades avec nos partis de gouvernement nés au XIXe siècle qui, tous les quatre ans, nous la baillent belle en faisant miroiter un changement qui finit toujours par être remis à plus tard.
