Si la technologie aide les criminels à s’organiser, elle offre aussi de nouveaux moyens pour les traquer. Le téléphone mobile, notamment, s’avère très utile. Un article du magazine Reflex.
Il est bien loin le temps des policiers à la Belmondo, avec fourgonnettes banalisées au coin de la rue, magnétophone à bandes et écouteurs sur les oreilles. A l’ère de l’internet et du mobile, les écoutes sont devenues numériques et passent aussi par des analyses de flux de données informatiques. Tandis que la localisation géographique des appels s’effectue désormais aussi bien en temps réel que rétroactivement par les opérateurs mobiles.
Certes, les écoutes de conversations téléphoniques s’utilisent toujours (en 2005, les opérateurs suisses ont effectué 2’100 mises sur écoute pour la police). Mais, et c’est un gros avantage, les réseaux sans-fil offrent des outils précieux dans la lutte contre la criminalité.
«Du côté policier, l’évolution technologique a nécessité l’acquisition de nouvelles compétences de pointe, ainsi que des investissements importants, explique Olivier Ribaux, professeur à l’école des sciences criminelles de Lausanne. Mais en échange, les analyses de données informatiques livrent de nouvelles informations.»
Par exemple celles des opérateurs mobiles qui doivent conserver légalement, pendant six mois, l’ensemble des données relatives aux communications (c’est-à-dire l’heure, la durée et les numéros appelés, mais aussi la cellule qui a enregistré l’appel, ainsi que l’angle de liaison vers l’appareil mobile connecté). De quoi localiser n’importe quel usager mobile, y compris rétroactivement.
- Cet article fait partie d’un dossier du magazine Reflex consacré à la sécurité technologique.
L’an dernier, la police suisse a effectué plus de 5000 demandes rétroactives auprès des opérateurs, ce qui engendre des coûts importants puisque chaque demande est facturée plusieurs centaines de francs (le tarif suisse est très élevé en comparaison européenne).
«La géolocalisation est évidemment un outil précieux, mais nous réalisons que de nombreux criminels savent qu’elle est devenue possible et s’en prémunissent, en utilisant des téléphones de tiers, ou en s’abonnant sous une fausse identité, poursuit Olivier Ribaux. On doit désormais s’identifier pour acquérir une carte SIM, mais on peut s’abonner au mobile dans un supermarché, et la caissière ne sera pas forcément très regardante sur l’authenticité d’une pièce d’identité, en particuliers aux heures de pointe. Raison pour laquelle on parle beaucoup de l’installation d’identificateurs biométriques dans les mobiles. Non seulement pour protéger l’usager contre le vol, mais aussi pour faciliter le travail de la police lors des enquêtes.»
La traque aux criminels s’effectue aussi directement sur internet. L’accent a été mis sur la lutte contre la pornographie enfantine, établie comme une priorité par la Confédération. La douzaine d’enquêteurs fédéraux du SCOCI (Service national de coordination de la lutte contre la criminalité sur internet) analyse les données afin d’identifier et de localiser pédophiles et autre cybercriminels.
«Le service effectue de la surveillance sur les tchats et les sites, et suite aux dénonciations des internautes à partir du site www.cybercrime.admin.ch», explique Guido Balmer, porte-parole du SCOCI.
Ce service fédéral n’utilise cependant pas de méthodes d’infiltration, qui ne peuvent être employées que par des policiers, sur autorisation d’un juge. Les adresses IP des internautes soupçonnés par le SCOCI sont cependant identifiées auprès des fournisseurs d’accès, puis le dossier est transmis à la police cantonale concernée. En 2005, sur les 7’345 cas signalés par les internautes, 480 ont débouché sur une enquête policière. Dans un grand nombre de cas (89%), ces enquêtes virtuelles signalées ont donné lieu à des perquisitions dans le monde réel.
Des perquisitions pas toujours heureuses… «Dans les cas de téléchargement d’images pédophiles par exemple, l’anonymat des connexions peut poser problème, relève Olivier Ribaux. On peut imaginer que la police, qui surveille en permanence ce trafic de données criminelles, soupçonne à tort une personne dont la ligne Wifi a été squattée par un voisin. Avec des conséquences très désagréables pour l’innocent qui subit une visite domiciliaire de la police tôt le matin, ainsi qu’une saisie de son matériel.»
En quinze ans, l’informatique a pris une place centrale dans les enquêtes policières. «Lors des perquisitions, la saisie des ordinateurs et des téléphones mobiles est devenue systématique pour tout type d’affaire, explique Jean Treccani, juge d’instruction du canton de Vaud. Les policiers disposent désormais d’un arsenal technique qui permet d’analyser les données, même effacées, des disques durs. Mais la bataille est toujours inégale. Grâce au mobile et à l’internet, le criminel est devenu plus mobile, plus anonyme, plus organisé.»
En face, les autorités policières et judiciaires ne suivent pas toujours, notamment parce que la Suisse n’a pas ratifié la Convention internationale sur la cybercriminalité. «Du coup, sur le plan international, nous devons passer par des canaux hyperlents, tout à fait incompatibles avec internet, poursuit le juge. Le délinquant communique à la vitesse de la lumière partout sur la planète, nous circulons par lettre, par des canaux diplomatiques, un pays après l’autre…»
La justice se heurte par ailleurs régulièrement à des questions de protection de la sphère privée. Après un hold-up à Lausanne, le juge Treccani avait demandé le relevé des 1’000 numéros de téléphones qui avaient transité par la cellule à travers laquelle le malfrat communiquait. Et avait déclenché une polémique médiatique, certains y voyant une atteinte à la vie privée des citoyens.
«Pourtant, la justice ne s’intéressait qu’à un numéro français bien précis, facile à identifier dans la masse, et n’aurait rien fait des 999 autres, dit le juge. Mais le sujet est resté sensible en Suisse, notamment depuis l’affaire des fiches.»
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Le 5 juillet 2003, Yvan Colonna a été rapatrié à Paris sous escorte policière rapprochée. Recherché pour le meurtre du préfet Erignac, il avait été retrouvé dans une bergerie corse grâce à la géolocalisation de son téléphone mobile.
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