KAPITAL

Mobile: pourquoi les prix vont baisser

Bousculés par la concurrence, mis sous pression par le législateur, les opérateurs nationaux encaissent le coup. Les tarifs suisses, les plus élevés d’Europe, devraient enfin diminuer en 2007.

«Après Zurich, nous avons déjà installé nos antennes à Bâle, et nous sommes en train d’équiper les villes de Genève et de Lausanne.» Roman Schwarz, patron de Tele2, se réjouit de secouer le marché de la téléphonie mobile suisse. Le discounter suédois, agressif dans le marché de la téléphonie fixe, dispose d’un accord de roaming avec Sunrise: en dehors des agglomérations couvertes, les abonnés de Tele2 mobile peuvent déjà téléphoner par l’intermédiaire de ce réseau aux mêmes conditions.

La concession particulière de Tele2, octroyée par la Confédération afin de stimuler une concurrence défaillante, ne l’oblige pas à couvrir l’ensemble du pays. C’est un avantage important par rapport aux trois opérateurs existants puisque Tele2 peut, en se cantonnant aux grandes villes, limiter ses investissements.

Dans ce secteur, c’est évidemment la couverture des régions reculées — et vallonnées — qui coûte le plus cher à mettre en place. «Tout se déroule parfaitement, sauf à Berne, où nous rencontrons des problèmes administratifs avec le président Alexander Tschäppat. D’ici à 2008, nous visons une couverture de 99% des cinq plus grandes villes de Suisse, poursuit Roman Schwarz. Nous allons aussi développer notre réseau le long des grands axes routiers. Mais pas plus.»

Présent dans 25 pays européens, et comptant près de 30 millions de clients, Tele2 s’est imposé en Europe grâce à ses tarifs agressifs et sa culture low-cost. Le mobile ne fait pas exception, comme en témoigne l’offre lancée à Zurich: un abonnement à 15 francs par mois et des communications fixe-mobile à 39 centimes de l’heure (contre 70 centimes chez Swisscom).

Mais le marché ne se laisse pas si facilement secouer. Car, en Suisse comme ailleurs, les opérateurs réalisent l’essentiel de leurs revenus avec les appels entrants (vers leur réseau mobile), d’où les prix exorbitants (40% plus chers en Suisse que la moyenne européenne) pour les appels de mobile à mobile ou fixe vers mobile. Et, comme les autres, Tele2 se heurte aux conditions exigées par les acteurs existants.

Cette situation s’explique par la limitation technique du nombre de concurrents dans la téléphonie mobile. Les fréquences (et les antennes) n’étant pas cumulables à l’infini, le régulateur doit diviser le marché en, au maximum, trois ou quatre élus alors que des dizaines d’entreprises se partagent le marché du fixe, stimulant d’autant la concurrence. Et comme il est plus facile de s’entendre lorsqu’on est peu nombreux, Swisscom, Orange et Sunrise ne s’en sont pas privés.

Le 20 novembre dernier, la Commission de la concurrence a officiellement accusé les trois opérateurs nationaux d’entente cartellaire, c’est-à-dire d’avoir abusé de leur position dominante en matière de coûts de terminaison (taxe à l’entrée de leurs réseaux respectifs), empêchant ainsi la baisse des tarifs. Les accusés ont jusqu’au 7 janvier pour réagir.

Si une solution de conciliation est trouvée, une diminution des prix pourrait déjà intervenir cet hiver. Dans le cas contraire, les opérateurs pourront tenter de justifier leurs coûts, et l’affaire pourrait traîner jusqu’à la fin de 2007, voire au-delà. «Les prix vont baisser, mais on ne sait ni quand, ni dans quelle proportion le client final en profitera», résume, prudent, Marc Furrer, directeur de la Commission fédérale de la communication.

Serge Zancanella, analyste spécialisé à la Banque Bordier & Cie, se montre plus optimiste: «Les opérateurs seront contraints de baisser les prix. Il n’y a absolument aucune raison pour que leurs tarifs de terminaison demeurent aussi exorbitants. Les excuses d’autrefois — comme le prix élevé de la main-d’oeuvre, le grand nombre d’antennes déployées ou la topographie du terrain — ne tiennent plus. Dans les autres pays européens, déjà très en avance sur la Suisse, tous les prix d’interconnexion continuent de chuter.»

En Norvège, où les prix figuraient déjà parmi les plus bas, le régulateur vient d’imposer une baisse d’un tiers des tarifs d’interconnexion d’ici à 2010. La Finlande lui a emboîté le pas, avec l’objectif encore plus ambitieux de diviser le prix par deux en moins de deux ans. De quoi faire rêver les Suisses avec leurs grosses factures…

L’arrivée des marques M-Budget, Cablecom ou Coop-Mobile sur le marché du cellulaire ont fait croire aux consommateurs que de nouveaux concurrents venaient stimuler la concurrence. Or ces marques ne sont que des revendeurs de minutes, des opérateurs «virtuels» qui ne possèdent pas de réseaux propres, et paient le prix fixé par leur fournisseur (respectivement Swisscom, Sunrise et Orange).

A l’étranger, ce phénomène d’accumulation des marques atteint des proportions étonnantes. «De juin à septembre, plus de 50% des nouveaux abonnés en France ont opté pour des opérateurs virtuels (une quinzaine de marques en tout, ndlr), rapporte Carole Manero, consultante à l’Institut de l’audiovisuel et des télécommunications en Europe (Idate). Pour un opérateur traditionnel, le fait de louer son réseau à des marques low-cost permet de conserver des parts de marché sans mettre son image qualitative en péril.»

Une fois la concurrence relancée en Suisse par le législateur, un opérateur pourrait bien décider de changer de stratégie: baisser massivement les tarifs et gagner autant de parts de marché.

«C’est possible, confirme l’analyste Serge Zancanella. En Belgique, où l’on compte également trois opérateurs, l’un deux, baptisé BASE, a choisi de baisser sensiblement ses tarifs afin d’entraîner des opérateurs virtuels dans son sillage. En acceptant de réduire ainsi ses marges, il s’est offert la possibilité de gagner des parts de marché, séduisant toute une vague de sociétés. En Suisse, les deux challengers de Swisscom pourraient s’inspirer de cette démarche, surtout Sunrise, qui bénéficie déjà d’une identité low-cost.»

Au-delà de cette approche stratégique, la baisse des tarifs pourrait par ailleurs s’imposer par un détour inattendu: l’internet. Depuis longtemps, les internautes téléphonent gratuitement en utilisant Skype à la maison. Grâce à la multiplication des réseaux sans fil wi-fi, le modèle commence à s’exporter.

Certains opérateurs classiques préfèrent anticiper le mouvement au lieu de se faire damer le pion. Ainsi, fin septembre, Orange France a lancé une offre baptisée Unik. Grâce à un mobile d’apparence classique, l’utilisateur profite normalement du réseau GSM. Mais lorsqu’il se trouve à domicile, ou à proximité d’une borne wi-fi, ses communications passent par l’internet, gratuitement. «Cette innovation va prendre une importance grandissante sur le marché européen», anticipe Carole Manero, à l’institut Idate de Montpellier.

D’ailleurs, Orange Suisse annonce à L’Hebdo qu’une telle offre verra le jour en 2007. Elle devrait stimuler une baisse des prix très attendue par les consommateurs, qui en ont décidément assez des abus tarifaires, désormais officiels, de leurs opérateurs nationaux.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 14 décembre 2006.