Une nouvelle fois l’Amérique latine se trouve à la croisée des chemins. Les impressionnantes victoires électorales de Lula au Brésil, Ortega au Nicaragua, Correa en Equateur et Chavez au Venezuela annoncent une période qui devrait voir un décollage économique et social du sous-continent.
Avec, à disposition des nouveaux élus et de leurs amis au Chili, en Argentine, en Uruguay, des cartes importantes dont leurs prédécesseurs ne disposaient pas.
En effet, l’Amérique latine a déjà connu au début des années 1960 une période assez semblable où l’on assista à une série de victoires populaires contre les oligarchies dominantes.
Il y eut l’avènement de Fidel Castro et des ses barbus à Cuba en 1959, celui de Paz Estenssoro en Bolivie (1952-1964), de Joao Goulart au Brésil (1961-1964), de Eduardo Frei au Chili (1964-1970), de Arturo Ilia (1963-1966) en Argentine, qui, tous sauf Castro, ouvrirent la voie aux sanglantes dictatures militaires qui dominèrent le continent pendant au moins deux décennies. Parce que les Etats-Unis (et la CIA) veillaient au grain, parce que les oligarchies locales étaient puissantes, parce que le protectionnisme régnait en maître.
Aujourd’hui, la situation est complètement différente. Les Etats-Unis ne sont pas moins puissants, mais leurs intérêts sont mondiaux et l’Amérique latine est devenue une arrière-cour dont ils se méfient et se défendent. Symbole de cette politique: le mur de 1400 km que Bush veut édifier le long de la frontière mexicaine.
A l’intérieur des Etats latinos, les militaires discrédités par leurs dictatures ne disposent plus de la force qui était la leur il y a un demi-siècle, même si les appareils militaires ont encore un poids important. Les fiefs oligarchiques et latifundistes ont été battus en brèches par le libre-échange et la globalisation. Le niveau culturel des populations s’est amélioré en raison du formidable développement des moyens d’information. De surcroît, l’hypothèque anticommuniste a disparu.
Samedi 9 décembre 2006, les présidents victorieux (la présidente Bachelet en tête) vont retrouver leurs homologues du reste du continent à l’occasion du sommet annuel de la toute jeune Communauté sud-américaine des nations fondée il y a deux ans à Cuzco.
Il s’agit de la première tentative sérieuse de donner vie à un projet d’intégration latino-américaine pour défendre ces valeurs démocratiques, morales et politiques bafouées par les dictatures et le caudillisme traditionnel. Que cette nouvelle gauche soit éclatée, qu’elle n’obéisse pas à une idéologie dominante comme le fut autrefois le castrisme est bon signe. Cela provoque le débat. Et la recherche de solutions novatrices.
Certes, on n’oublie pas les thèmes habituels tels que «l’engagement essentiel de la lutte contre la pauvreté, de l’élimination de la faim, la création d’emplois décents et l’accès à la santé et à l’éducation pour tous». Mais la déclaration fondatrice précise aussi que la recherche du développement économique n’est pas une panacée.
Au contraire, diverses stratégies doivent être mises en place pour que, «notamment, au-delà d’une conscience environnementale responsable, de la reconnaissance d’asymétries dans le développement de ses pays, soient garanties une répartition plus juste et plus équitable des ressources, l’accès à l’éducation, la cohésion et l’insertion sociale, ainsi que la préservation de l’environnement et la promotion du développement durable».
En renforçant leurs liens, les Etats sud-américains espèrent ainsi profiter des différentes expériences en cours de Santiago à Quito, de Buenos Aires à Caracas en passant par Brasilia. Et surtout construire un ensemble suffisamment homogène pour pouvoir parler d’une seule voix à leurs partenaires, qu’il s’agisse des Etats-Unis ou de l’Union européenne, de la Chine ou de l’Afrique du Sud.
L’Amérique latine a déjà des institutions (Mercosur, Communauté andine) placées sous le signe d’un libéralisme tourné vers Washington. Elle cherche maintenant à se dégager d’une gangue étouffante. Elle en a apparemment la volonté politique. Sera-ce suffisant?