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Pourquoi le parlement éthiopien a voté la guerre

Washington sponsorise maintenant une intervention éthiopienne en Somalie. Le scénario a été conclu il y a une dizaine de jours à Addis Abeba. Explication des enjeux.

S’il y a un endroit sur la planète où le mot «imbroglio» mérite d’être appliqué, c’est bien la Somalie. D’autant plus qu’il s’agit d’une ancienne colonie italienne.

Depuis le fameux échec de l’opération américaine «Restore hope» lancée par Clinton en décembre 1992 et brutalement interrompue cinq mois plus tard sur un retrait sans gloire, la Somalie est devenue un pays sans Etat, désorganisé, appauvri. Fragmenté en fiefs claniques. Livré au violences et trafics de seigneurs de la guerre.

Il existe certes un parlement et un gouvernement de transition dont la représentativité est quasi nulle ou, mettons, modulable selon les besoins des grandes puissances ou des voisins proches. Pendant des années ces politiciens ont vécu non pas en Somalie, mais au Kenya. Aujourd’hui, ils sont rentrés au pays, à Baidoa (250 km au nord-ouest de Mogadiscio) où ils siègent sous la protection de quelques milliers de soldats éthiopiens, faute de pouvoir gagner la capitale.

Le vrai pouvoir est tenu depuis juin dernier sur la quasi-totalité du territoire par l’Union des Tribunaux Islamiques (UTI) dont le nom seul à prononcer fait frémir les bonnes âmes en Occident et verdir de rage les services américains. A tel point que face à la montée irrésistible de cette UTI, la CIA a concocté au début de cette année un de ces plans foireux à souhait dont elle est spécialiste: le financement des bandes armées contrôlées par les seigneurs de la guerre pour les opposer à l’UTI sous le nom d’Alliance contre le terrorisme.

Le résultat fut à la hauteur de la manœuvre: en quatre mois, les bandes furent liquidées par les islamistes qui, au fur et à mesure de leur progression, instauraient la charia avec les défauts qu’on lui connaît et la paix civile avec ses indiscutables avantages. A la mi-juin, le pays et sa capitale étaient plus ou moins pacifiés.

Si l’on en croit les spécialistes de la région, l’UTI est elle aussi un conglomérat d’intérêts disparates réunissant sous la même bannière des musulmans modérés, des islamistes, des politiciens, des commerçants et des trafiquants désireux de restaurer non pas l’espoir mais un semblant d’ordre pour vaquer à leurs affaires. Pour les Américains, elle est indissociable de ce que sont les talibans en Afghanistan, même si cela n’a rien à voir.

La carte de l’Alliance antiterroriste ayant échoué, Washington sponsorise maintenant une intervention éthiopienne. Le scénario a été conclu il y a une dizaine de jours à Addis Abeba par une déclaration tonitruante du premier ministre éthiopien Meles Zenawi.

Après avoir fait voter un budget de guerre et les autorisations subséquentes par son parlement, il déclarait que les islamistes représentent une menace « claire » pour l’Ethiopie et qu’il était prêt à déclencher les hostilités.

Du côté de Mogadiscio, on est pas impressionné: «Si l’Ethiopie est prête à la guerre, nous sommes prêts à la défense de notre pays, mais nous pressons l’Ethiopie de s’abstenir de toute attitude belliciste irresponsable.» Et de souligner que c’est l’Ethiopie l’agresseur qui a envoyé des troupes en Somalie et qui menace la paix régionale.

Ce que ne disent pas les islamistes, c’est qu’ils ont eux le soutien de l’Erythrée en armes et en troupes. On parle de 2’500 soldats érythréens contre 10’000 éthiopiens. Car, comme si l’imbroglio somalien ne se suffisait pas à lui-même, les voisins y exportent leurs conflits.

Addis Abeba et Asmara se sont livrés à une épuisante guerre de tranchées entre 1998 et 2000 sans parvenir à délimiter une frontière satisfaisante pour les deux parties. A tout moment, le conflit peut éclater à nouveau. En attendant, ils s’apprêtent à en découdre par Somalie interposée.

Malgré la déculottée subie il y a quatorze ans, l’ONU ne pouvait s’abstenir. Surtout si Washington pousse à l’action. En octobre, l’ONU retirait ses personnels du pays. Le week-end dernier, elle acceptait une résolution — soutenue par les Etats-Unis –demandant l’envoi d’une force d’interposition.

Sondée, l’Afrique du Sud renâcle en raison des risques d’enlisement. Comme personne d’autre n’a vraiment envie d’y aller, l’Ethiopie devrait recevoir le feu vert d’ici peu.