LATITUDES

Les confessions d’un truand repenti

Cambriolages, courses poursuites, évasions… Le Neuchâtelois Vincent L. a passé sa jeunesse à transgresser la loi. Après des années en prison, il s’est finalement rangé. Il livre son témoignage pour la première fois.

«Aussi loin que je me souvienne, j’ai toujours été fasciné par les voitures. Je n’avais que 8 ans quand j’ai subtilisé les clés de celle de ma mère pour la première fois. J’ai fait le tour du quartier au volant, avant de me faire attraper par un voisin. La sensation de puissance, de liberté, cette fébrilité causée par l’acte interdit ne m’ont plus lâchées.» A 37 ans, Vincent L. raconte pour la première fois son parcours étonnant. Celui d’un truand au grand cœur comme on ne les imagine que dans les films.

Une carrière de voleur qui commence très tôt. «Enfant, j’ai réalisé à quel point il était facile et excitant de voler. Ni les arrestations, multiples, ni la peur du gendarme ne m’ont jamais freiné. J’ai été déféré devant l’autorité tutélaire pour la première fois à 9 ans, pour des vols de jouets chez Franz Carl Weber à Peseux, puis à la librairie Reymond à Neuchâtel. Je m’étais improvisé chef d’une petite bande, avec des copains d’école que j’entraînais. Les punitions de mes parents n’y faisaient rien: j’avais pris goût à l’excitation, à l’adrénaline provoquée par le larcin, et au plaisir de contester leur autorité.»

L’adolescence ne fera qu’accentuer le processus. Vincent aime se révolter, se rebeller, en premier lieu contre ses parents. «Mon père, petit commerçant, incarnait cette bourgeoisie suisse bien sous tout rapport que je détestais.» Alors Vincent enchaîne: de plus en plus souvent, il «emprunte» la voiture de son père, puis les véhicules de tout l’entourage: des grands parents, des voisins, de l’entreprise de son père… Il va dans les décharges pour apprendre à «dévisser les cylindres» des clés de contact, à ouvrir une portière avec une tige métallique, et à démarrer un véhicule sans les clés.

«Je n’ai jamais cassé une vitre, ou quoi que ce soit, pour voler une voiture. Je n’avais que 11 ans quand j’ai volé pour la première fois une VW K70 à la carrosserie d’Auvernier. Un type m’a pris en chasse sur le pont de Boudry, voyant que je n’avais visiblement pas l’âge pour conduire, et j’ai fracassé la bagnole contre un mur à St-Aubin en sortant d’un virage. Je me suis enfui, je n’ai jamais été attrapé. A 13 ans, je savais faire démarrer une voiture sans les clés. Jusqu’à 18 ans, j’ai volé des dizaines de bagnoles dans toute la Suisse romande, en privilégiant les sportives: Ferrari, Porsche, Lamborghini, Aston Martin. Mais toujours du vol d’usage: je laissais ensuite le véhicule au bord de la route, lavé, aspiré et avec le plein d’essence. Ma manière de signifier ma gratitude. Je ne me faisais que très rarement pincer. J’ai cependant été déféré quatre fois devant l’autorité tutélaire pour des vols de voiture avant d’avoir 18 ans.»

Et puis, il y aura le premier cambriolage. «Un de nos voisins, riche industriel, venait de s’écraser avec son avion privé. Comme il était divorcé sans enfant, j’ai pensé que sa grande demeure devait rester vide. Je me suis introduit par le toit, en soulevant des tuiles, et je suis resté environ six heures sur place. Le temps de fouiller dans toutes les pièces, et de meuler le coffre fort. Lingots, bijoux, monnaies, cash, il devait y en avoir pour environ 100’000 francs. J’ai caché le butin dans un haut parleur à la maison. Mon frère, qui m’avait vu le dévisser, m’a dénoncé à ma mère, qui a tout jeté à la poubelle. Mais le plus grave pour moi n’était pas d’avoir perdu l’argent mais d’avoir été ainsi trahi, découvert. Ma vie de voleur représentait mon jardin secret.»

Il y aura trois ou quatre autres cambriolages. «L’argent m’intéressait peu. J’avais surtout du plaisir à fouiller par effraction dans l’intimité de ces inconnus. Je découvrais ainsi la face cachée des gens. Avec parfois des surprises: chez un chef d’orchestre connu, j’ai trouvé des photos pédophiles et zoophiles. Cela démontrait ce que je dénonçais toujours: les notables bien pensants qui me jugeaient avaient aussi des choses à se reprocher, peut-être mêmes plus graves que mes vols.»

A 18 ans, Vincent est un flambeur qui vit de ses vols. «J’arrivais dans les plus beaux hôtels en Ferrari avec des filles magnifiques. Mon arrogance ouvrait toutes les portes. Je sortais dans les clubs selects, je vivais dans des palaces. J’étais connu de toute la jet-set genevoise, qui ne savait pas trop qui j’étais. Une fois, je suis arrivé en Lamborghini à l’Hôtel Richemont sous le nom de Charles-Henri de Bourbon Parme. J’ai réservé la suite présidentielle, fait monter des tournedos aux morilles, j’ai fait refaire des costumes et je suis parti après six jours en laissant une ardoise monstrueuse derrière moi.»

La justice rattrape le voleur peu à peu. Et Vincent fête ses 19 ans, le jour de Noël 1987, derrière les barreaux. Son premier séjour en prison durera 3 semaines, «les plus durs de ma vie». Mais une course poursuite avec la police, quelques mois après sa sortie, le fera condamner à une bien plus lourde peine. «Je provoquais souvent la police, et je réussissais à m’enfuir. Une fois j’ai volé une Ferrari Testarossa et j’ai fait un bras d’honneur à une voiture de flic à Genève avant de m’enfuir à 160 km/h sur le pont du Mont Blanc. Avec la même voiture, j’étais parti à l’étranger, et au retour, j’ai foncé sur un douanier qui me menaçait de son arme. Il s’est écarté juste à temps pour m’éviter.»

Mais ce jour de juin 1988, vers Chesaux, Vincent ne réussira pas à prendre la fuite. Il arrive chez un ami garagiste, avec un complice, pour échanger une Porsche volée. Une indiscrétion avait mis la police au courant. Au volant de la Porsche, l’ami se rend tout de suite mais Vincent, qui pilote une malheureuse Lada prêtée par le garagiste, prend la fuite. La poursuite à 100 km/h dans les rues de Cheseaux en pleine journée mettra en danger de nombreux passants, avant de s’achever au centre du village, la Lada coincée par deux véhicules de police. Le rodéo, qui ne fera heureusement aucun blessé, se retrouve le lendemain en Une de tous les journaux.

Exil aux Etats-Unis

En 1990, avant le procès du rodéo de Cheseaux, Vincent est incarcéré. En attendant d’être transféré à Neuchâtel, le for juridique déterminé pour ses affaires, il séjourne à la prison de la Cité, à Lausanne. «Grâce à une complicité, j’ai réussi à scier les barreaux de ma cellule avec du fil d’ange, et à prendre la fuite. J’ai retrouvé ma copine, et on a décidé de s’exiler aux Etats-Unis.»

Vincent reste trois ans à New York, vivant de petits commerces qu’il crée sur place. «Je n’ai jamais rien volé là-bas. Preuve que je n’étais pas un voleur par nature, mais que j’avais simplement quelque chose à régler avec la culture suisse, avec mon éducation, avec mon père.» A New York, Vincent monte une petite épicerie, puis une agence de voyage.

La justice suisse n’estimera pas les crimes de Vincent suffisamment graves pour lancer un mandat d’arrêt international. Et il ne sera pas inquiété par la police pendant son séjour américain. C’est en Suisse, où il reste activement recherché, que les choses se gâteront.

«En 1993, j’avais la nostalgie de l’Europe, de la Suisse. J’étais revenu en France pour quelques jours, et des amis m’ont proposé de les rejoindre au Festival de Montreux. Je suis passé par une petite douane de campagne. J’avais posé mes affaires à l’hôtel ‘Les Marines’, à Villeneuve. Mais trouvant suspect les liasses de billets que j’avais avec moi, la femme de chambre a alerté la police, qui, du coup, était trop contente de m’avoir localisé dans la région. A mon retour du Festival, vers 2 heures du matin, j’étais attendu par huit gendarmes.»

Vincent tente de prendre la fuite. Mais sur le parking de l’hôtel, d’autres policiers attendent. Un corps à corps s’engage. «Dans l’altercation, j’ai subtilisé l’arme d’un policier. Et je l’ai pointée dans leur direction. Ce fut comme un pouvoir magique: le silence immédiat, ils ont levé les mains. Mais derrière moi, un autre gendarme, planqué, m’a tiré dans la jambe, m’explosant le fémur.» Vincent a eu beaucoup de chance. Il a pu retrouver l’usage de sa jambe. Il garde cependant la cicatrice de cette balle de 9mm qui lui a traversé le corps.

En tout, Vincent passera plus de trois ans derrière les barreaux (lire l’encadré). «Cela a été comme une Université pour moi qui n’avait jamais achevé aucune formation. J’ai lu énormément, et j’ai beaucoup réfléchi sur moi.» Mais à peine achevée sa plus longue peine, en 1996, Vincent replonge, et recommence à «piquer des bagnoles» et vivre de petits larcins.

«C’est en 2000 que j’ai pris la décision de changer de vie, de me ranger définitivement. J’ai commencé à avoir honte de ce que j’avais fait, et j’en avais marre de la prison. J’ai eu envie de construire quelque chose.» Vincent participe alors au développement du site Neuch.ch, une plate-forme online pour laquelle il vend des annonces publicitaires. Il y croise Alicia, qui deviendra sa femme et la mère de son petit garçon, âgé aujourd’hui de quatre mois.

L’an dernier, Vincent a lancé sa propre startup, bAEcus, à Bienne, qui développe des plate-forme de commerce en ligne. Leur premier projet s’appelle Cosimoo.com, un site où l’on peut dessiner et acheter des T-shirts. «La progression des ventes est exponentielle, mais il nous manque encore des fonds pour financer notre croissance. Ma détermination est immense de faire réussir cette entreprise. Mon parcours semé de difficultés m’a donné une force énorme.»

Connu comme le loup blanc par les autorités judiciaires et policières de Suisse romande, Vincent a du mal à se faire oublier. «Je suis sans arrêt soupçonné: à chaque histoire de vol dans la région, on vient me chercher pour m’interroger au poste.» Pourtant, désormais, la police peut dormir tranquille. Quand Vincent se réveille, la nuit, ce n’est plus pour voler des voitures mais pour bercer son petit garçon.

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Un casier judiciaire chargé

Vincent L. a été jugé et condamné à de nombreuses reprises. Si l’on tient compte des remises de peine, il a passé au total un peu plus de trois ans derrières les barreaux. Extraits de casier.

  • 03.02.1989 Placé dans une maison d’éducation au travail pour vol, dommages à la propriété.
  • 29.05.1990Condamné à 20 mois d’emprisonnement pour mise en danger de la vie d’autrui, vols, infraction à la loi sur la circulation routière.
  • 22.09.1994 Condamné à 3 ans de réclusion pour mise en danger de la vie d’autrui (pour le rodéo de Cheseaux), violence contre les autorités et les fonctionnaires, vols.
  • 27.11.1995 Condamné à 20 mois d’emprisonnement pour lésions corporelles simples, vol, dommages à la propriété, violence contre les autorités et les fonctionnaires (pour avoir subtilisé et pointé l’arme d’un policier).
  • 6.11.1996 Condamné à 30 jours d’emprisonnement pour vol d’usage et dommages à la propriété.
  • 23.10.1997 Condamné à 11 mois d’emprisonnement pour vol, dommages à la propriété, délit manqué d’opposition aux actes de l’autorité (pour avoir forcé un barrage de police).
  • 21.06.2000 Condamné à 21 mois d’emprisonnement pour vol par métier, dommages à la propriété, violation de domicile, faux dans les certificats (falsification de cartes grises).