Jeune psychologue lausannois, Cédric Barrat s’est lancé dans le coaching amoureux. Il a développé une méthode originale pour aider ses clients à trouver l’âme soeur, avec exercices pratiques et simulations.
Avec ses petites lunettes carrées et ses polos sombres, il ne ressemble pas vraiment à l’image qu’on se fait d’un séducteur invétéré. Dur de l’imaginer en train d’emballer les filles sur la piste de danse. Pourtant, Cédric Barrat est love coach. Il vient de lancer une société, baptisée Hera comme la déesse grecque du mariage, pour apprendre aux personnes en mal d’amour comment trouver l’âme sœur. Cette forme de coaching social, inventée aux Etats-Unis, s’adresse «aux personnes entre 35 et 50 ans, qui ont vécu une ou plusieurs déceptions sentimentales ou qui ont perdu l’habitude de séduire, généralement suite à un échec matrimonial», explique le jeune psychologue de 31 ans.
Autre catégorie de clients, les jeunes célibataires qui ont bien profité de leur vingtaine, ont multiplié les partenaires et privilégié les amitiés. «A l’orée des 30 ans, ils se rendent soudain compte qu’ils ont de la peine à se fixer durablement.»
La méthode de Cédric Barrat se divise en trois phases. Une première, faite de trois entretiens, qui vise à dresser le bilan de vie du client. Pour ce faire, ce dernier devra rédiger une courte biographie et répondre à une série de questionnaires. «Il s’agit d’évaluer son estime de soi et ses expériences passées.»
A l’issue de cette étape préliminaire, le love coach aura défini avec son sujet les objectifs à atteindre. Débute alors le véritable travail de coaching amoureux: cinq séances d’écoute active. «J’essaie d’amener le coaché à une prise de conscience des préjugés et automatismes qu’il possède en lui et qui l’empêchent d’avancer.» Le Lausannois traque avant tout la mauvaise foi: «Les gens se trouvent une foule de prétextes pour ne pas rencontrer le grand amour. Ils se disent que le problème provient des autres, qu’ils rencontrent toujours la mauvaise personne ou qu’ils n’ont pas le temps de chercher l’amour en raison de leurs enfants ou de leur travail.»
Le love coach doit aider son client ou sa cliente à sortir du cercle vicieux de la dévalorisation («je me trouve moche, donc les autres me trouvent moche»).
Il s’agit d’amener le coaché à se débarrasser de ses pensées négatives et de ses complexes en travaillant sur l’estime de soi. Le jeune psychologue, qui dit s’inscrire dans une démarche «rationnelle, lucide et prudente», part également en guerre contre les préjugés sur l’amour romantique. «Je veux remettre les gens aux commandes de leur vie et casser le mythe du coup de foudre qui nous tombe dessus sans prévenir. J’appelle cela le «syndrome de la Belle au Bois dormant»: attendre passivement son prince charmant», note le Lausannois, qui rappelle que l’amour romantique est une notion récente, ne datant que du 19e siècle.
Une démarche qui implique une sérieuse remise en question pour le coaché et qui peut passer par des remarques choquantes, voire blessantes. Mais Cédric Barrat ne craint pas de heurter. «Mes clients ont déjà ouvert la porte au changement. Ils ont juste besoin de quelqu’un à leurs côtés pour les aider à imaginer des solutions concrètes.» C’est ici qu’intervient la troisième partie du coaching amoureux: la mise en pratique, soit la simulation de situations réelles (premier rendez-vous, aborder quelqu’un dans un café) et l’observation.
«Dans un bar, nous allons analyser le comportement du couple assis à la table d’à côté ou je vais filmer mon client pour qu’il puisse voir le langage non-verbal qu’il communique et qu’il apprenne à le maîtriser.» Le coaché, fille ou garçon, va également être placé dans des situations réelles. «Je l’accompagne en discothèque, au musée ou dans d’autres lieux de rencontre et je l’oblige – dans la limite des ses capacités – à engager la conversation avec quelqu’un, à sourire à un certain nombre de personnes ou à accrocher des regards.»
La prochaine séance sera consacrée à un débriefing de l’expérience: «Nous analysons les erreurs commises, les opportunités qui n’ont pas été saisies.» But ultime: décrocher un premier rendez-vous, qu’il s’agira d’aborder comme un entretien d’embauche. «L’objectif n’est pas de plaire. C’est déjà fait. Il s’agit plutôt d’éviter les gaffes et d’en apprendre un maximum sur l’homme ou la femme qu’on a en face de soi.»
A l’issue de cette procédure, le client devrait avoir terminé sa traversée du désert et effectué plusieurs rencontres. Il peut alors choisir de continuer l’expérience ou non. «S’il le veut, je le suivrai dans ses premiers pas de couple.» Le jeune entrepreneur se défend toutefois de faire du conseil conjugal ou de la psychothérapie. «Je ne guéris pas, j’améliore le quotidien de mes clients, dans une perspective de développement personnel.» Sa spécificité par rapport à d’autres coachs? «La plupart d’entre eux sont plus que quadragénaires et spécialisées dans le coaching professionnel. Moi je suis jeune et j’ai une formation de psychologue axée sur le domaine de la rencontre.» Autre atout: il accompagne ses clients sur le terrain.
S’il a conscience que certaines personnes rechignent à faire appel à un coach pour quelque chose d’aussi intime que leur vie amoureuse, il rappelle que les intermédiaires et marieurs en tout genre ont toujours existé. Seulement, ces médiateurs informels ne suffisent plus aujourd’hui. «Baignés en permanence dans une culture qui valorise le choix et l’initiative personnelle et confrontés à des films, médias, etc. qui répètent à l’envi que chacun peut rencontrer l’homme idéal, les célibataires du 21e siècle ont revu leurs attentes à la hausse.»
Ce besoin d’excellence se traduit par une frustration lorsqu’il n’est pas comblé. C’est là qu’intervient le love coach. Il doit à la fois aider son client à se fixer des objectifs réalistes et lui faire rencontrer un «héros» ou une «héroïne» correspondant à un certain idéal. Un rôle sur la corde raide entre rêve et réalité…
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Un rhabillage de méthodes anciennes
Professeur de sociologie à l’Université de Genève, Marie-Noëlle Schurmans a notamment travaillé sur le coup de foudre. Elle analyse les enjeux du conseil amoureux.
Le love coaching, est-ce un phénomène nouveau?
En fait, cette logique d’accompagnement et de conseil rappelle des pratiques traditionnelles d’aide au mariage. Autrefois, on faisait appel à la famille, à un vieux sage ou à un marieur spécialisé pour encadrer la rencontre «amoureuse». Celle-ci devait bénéficier avant tout au groupe. Aujourd’hui, on assiste à un «rhabillage» de ces techniques anciennes avec une nouvelle logique issue du monde des affaires. Ce nouveau référentiel associe des idées de rentabilité, performance et rationalité à la rencontre. Dans les deux cas, il s’agit d’une intervention du social sur la manière dont les gens forment des couples.
Quelle différence avec le coup de foudre?
Le coup de foudre est la transgression complète de ce modèle, il se situe à l’extrême opposé de cette logique de rencontre planifiée. Envers et contre tout, deux personnes décident de s’aimer, avec un sentiment d’autonomie et d’individualité. Sans garde-fou social, en somme.
Quel type de rencontre faut-il alors privilégier?
Le fait qu’une logique économique s’infiltre dans différents domaines de la vie dont elle était auparavant exclue n’est ni une bonne ni une mauvaise chose. Il faut simplement s’assurer que la rencontre amoureuse ne se réduise pas à ce seul référentiel. Idéalement, il faudrait associer cet univers à celui de la spontanéité, de la poésie…
