Une société tessinoise propose aux parents de conserver les cellules souches contenues dans le cordon ombilical de leur enfant, pour guérir une éventuelle maladie future. Reportage.
Au bout de l’un des innombrables corridors de l’hôpital de Lugano, on butte sur une porte grise. Un panneau en interdit l’accès. Derrière se trouve la première banque de cellules souche de cordon ombilical de Suisse, la Swiss Stem Cells Bank (SSCB). Cette société privée offre depuis juillet 2005 la possibilité aux parents de conserver ce lien nutritif, pour un éventuel usage futur. Les grands bidons fumants remplis d’azote liquide qui jonchent le laboratoire contiennent ainsi quelque 1000 échantillons de sang de cordon ombilical. Ils resteront entreposés dans les locaux du SSCB pour une durée de 20 ans. En cas de maladie grave de leur enfant, les parents pourront à tout moment réclamer ce précieux matériel biologique. Le footballeur Thierry Henry et Letizia, la princesse d’Espagne, font partie des premiers à avoir recouru à cette méthode.
A l’avenir, les cellules souches issues du cordon pourraient en effet servir à guérir toutes sortes de maladies, comme les leucémies, les tumeurs, les affections congénitales ou encore l’anémie. Elles ont également une fonction régénératrice des tissus et pourraient à cet égard soigner les grands brûlés, les fractures, les dégénérescences de la rétine, les infarctus du myocarde et les maladies qui touchent aux cellules nerveuses comme la sclérose en plaques ou la maladie de Parkinson. Des essais sont d’ores et déjà en cours et semblent prometteurs. «Nous en sommes encore à un stade expérimental, mais nous pensons que les cellules souches sont le futur de la médecine régénérative», souligne le Dr. Gianni Soldati, directeur scientifique du SSCB.
Toute régénération des tissus passe en effet par les cellules souches. Lorsqu’on les injecte à un certain endroit du corps, elles se spécialisent et accomplissent la fonction qui fait défaut ou qui a été détruite chez le patient. «Aujourd’hui, les médecins utilisent des médicaments pour soigner leurs patients. Demain, ils se serviront de cellules souches», prédit le docteur à la barbe grisonnante. Or ces médicaments du futur comportent bien moins de contre-indications et d’effets secondaires que les actuelles préparations chimiques. «La médecine redécouvre les potentialités du corps humain. Elle a effectué une virage à 180° et envisage désormais d’utiliser ses propres tissus pour se soigner au lieu de produire des substances externes.»
Un délire futuriste qui rappelle les expériences de cryogénisation tentées aux Etats-Unis? Le service proposé par le SSCB n’est pourtant pas si fantaisiste si l’on considère les résultats obtenus grâce aux greffes de moelle osseuse – autre source de cellules souches – que l’on pratique depuis une vingtaine d’années pour soigner les leucémies notamment. Quelque 20’000 opérations de ce type sont réalisées chaque année dans le monde.
«En août 2004, nous avons testé avec succès un traitement à base de moelle osseuse sur 23 patients souffrant d’un infarctus du myocarde, relate le responsable du SSCB. Cette expérience positive nous a donné l’idée de lancer la banque de sang de cordon.» Les cellules souches issues du cordon ombilical présentent en effet plusieurs avantages sur celles de la moelle osseuse. «Prises sur un individu jeune, elles sont plus malléables et parviennent mieux à se spécialiser que celles – entièrement formées – d’un adulte.»
De plus, le prélèvement est moins compliqué. Pour recueillir des cellules de moelle osseuse, il faut anesthésier le donneur, voire l’hospitaliser, et il souffre par la suite d’anémie, de douleurs et de fatigue. A l’inverse, le sang de cordon ombilical peut être prélevé de manière totalement indolore, peu coûteuse et sans conséquences sur la mère et l’enfant.
Au moment de leur inscription au SSCB, les parents reçoivent un kit de récolte du sang. Lors de l’accouchement, la sage-femme ou le médecin n’ont plus qu’à prélever le précieux liquide au moyen d’une seringue et à le placer dans un emballage de glace livré dans le kit. Il est ensuite envoyé par courrier à Lugano et la SSCB se charge des analyses, de la congélation et de la conservation de l’échantillon. Le tout revient à 2700 francs (2900 depuis l’étranger), payable en plusieurs mensualités. «Notre programme est ouvert à toutes les catégories sociales. Cela peut faire un cadeau de naissance original pour les grands-parents ou les amis. Ce que nous proposons n’est pas si éloigné du compte épargne, dans le fond», sourit Patrizia Franconi, la directrice du SSCB. A noter tout de même que la conservation du sang de cordon n’est pas remboursée par l’assurance maladie.
La banque luganaise est la seule structure en Suisse à offrir cette prestation de façon privée. Les maternités de Genève et Bâle entreposent des échantillons de cellules souches du cordon depuis 1998 et pratiquent plusieurs transfusions par année (trois en 2005). Mais ces banques publiques – mises sur pied par la commission fédérale Swisscord et subventionnées – mettent les échantillons de sang qu’elles conservent à disposition de tout malade qui en aurait besoin et non du seul donneur. C’est là que la société tessinoise tire son épingle du jeu. Elle permet en effet à l’enfant, et à lui seul, de disposer de ses propres cellules souches «à n’importe quel moment de sa vie». Cela lui évitera de «devoir chercher fébrilement un donneur et de risquer une infection ou un rejet pour des raisons de compatibilité», détaille un dépliant de la SSCB.
Seule contre-indication: l’échantillon de sang ne peut pas être conservé s’il est infecté par le HIV, l’hépatite ou la syphilis, ou s’il comporte trop peu de sang en raison de complications lors de l’accouchement. «Cela se produit dans environ 1 cas sur 200», reconnaît le Dr. Soldati, tout en regardant sa montre. Il est déjà passé 15h00 et il attend justement deux échantillons de sang de cordon. Ils sont sans doute bloqués à la frontière italienne. Quelque 75% des clients de la SSCB proviennent de la péninsule, car les banques privées de cellules souches y sont interdites. Les milieux catholiques italiens en ont fait un enjeu de société, «confondant la conservation de cellules souches de cordon avec la manipulation d’embryons», selon le médecin.
La société luganaise, qui reçoit cinq nouveaux échantillons par jour en moyenne, envisage désormais d’étendre ses prestations à la France, à l’Allemagne et à l’Autriche. «Aux Etats-Unis, les banques privées existent depuis de nombreuses années, mais en Europe la Suisse est en avance, avec la Belgique et la Grande-Bretagne, dans ce domaine», dit Patrizia Franconi.
Soudain, une agitation s’empare du laboratoire. Les échantillons sont arrivés. Une biologiste déballe les poches de sang enveloppées dans des sachets de glace, les pèse et les place dans la machine de séparation. A l’issue de cette procédure qui dure 30 minutes, il reste trois sachets: les globules rouges, le plasma et les globules blancs. Ce sont ces derniers qui vont être conservées. Pour l’heure, les échantillons sont congelés et placés en quarantaine en attendant le résultat des tests chargés de déterminer la qualité des cellules souches. Elles sont ensuite transférées dans leur lieu d’entreposage définitif. Chaussée de grands gants bleu anti-froid, la laborantine soulève le couvercle du grand bidon de conservation à -196 degrés et y place délicatement les petites plaquettes de cellules souches. Elles y passeront les 20 prochaines années, si personne ne les réclame plus tôt…
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«Si elle tombe malade, ma fille aura ses cellules»
«Je vois cet acte comme la constitution d’une assurance vie pour mon enfant.» Employée de bureau auprès de l’hôpital de Lugano, Cristina Largader, 40 ans, est aussi la première cliente de la Swiss Stem Cells Bank . Elle y a placé les cellules souches tirées du cordon ombilical de sa fille, née en mai 2005, dès son ouverture. «Je voulais donner cette chance à mon enfant. J’espère qu’elle n’aura jamais à s’en servir. Je veux même oublier leur existence. Mais s’il se passe quelque chose dans les prochaines années, si elle tombe malade, elle aura ses cellules.»
Cristina Largader croit aux vertus thérapeutiques des cellules souches. «Ce n’est pas que de la musique d’avenir, les patients qui ont souffert d’un infarctus sont déjà soignés ainsi. Et aux Etats-Unis, on a fréquemment recours à cette méthode.» Elle est persuadée que, d’ici dix ans, «chaque enfant conservera ses cellules souches dans une banque». La Tessinoise reconnaît qu’aujourd’hui «cela peut paraître bizarre» de conserver le cordon ombilical de son enfant. Son entourage l’a cependant soutenue dans sa démarche, qui a été décidée d’un commun accord avec son mari.
Financièrement, elle a trouvé une solution toute naturelle. «Comme nous ne pouvions de toute façon pas partir en vacances avec un enfant si jeune, nous avons décidé d’utiliser cet argent pour payer les services de la SSCB.» La récolte de sang lors de l’accouchement s’est très bien passée. «Ma gynécologue était déjà au courant de cette possibilité et, comme elle pratique régulièrement des prélèvements de sang de cordon pour la recherche, elle savait parfaitement comment procéder avec le kit.»
L’hôpital n’a pas non plus été surpris de sa décision. «Le médecin m’a quand même prévenue que si la naissance présentait des complications, il se chargerait d’abord de ma santé, ensuite de celle de mon enfant et seulement en dernier lieu d’effectuer le prélèvement.»
