Les hommes sont de plus en plus nombreux à s’épiler les aisselles, le torse ou même le pubis. Ils assument cette nouvelle nature, glabre et lisse, et les femmes applaudissent. Témoignages et conseils.
Il y a à peine dix ans, il semblait impossible pour un homme de s’épiler sans renoncer à une part de sa virilité. A moins d’être recordman de natation ou cycliste professionnel, le vrai mâle se devait d’accepter la toison dont la nature l’avait doté. Toute la toison.
Que ce soit sur le torse, les jambes, les abdominaux, voire même les épaules et le bas du dos, les poils de Monsieur n’avaient rien à redouter: ils symbolisaient la masculinité dans toute sa vigueur un peu sauvage et non domestiquée. Ils étaient là pour rester.
Bien accrochés à leurs follicules, ils ne se doutaient pas que, dix ans plus tard, ils seraient pourchassés par la tondeuse — ou pire : la cire dépilatoire — jusqu’au moindre repli d’épiderme. Même les poils du pubis sont aujourd’hui menacés d’éradication. Que s’est-il passé?
La réponse est simple: «Un homme poilu, aujourd’hui, ça fait plutôt ringard», lâche Diana Mannisi-Baud, une trentenaire pétillante rencontrée aux Bains des Pâquis, à Genève.
Son amie Martine Rodriguez-Vial va encore plus loin: «Aujourd’hui, c’est l’homme épilé qui fait viril.» Esthéticienne indépendante, la jeune femme sait de quoi elle parle: elle voit les critères de séduction évoluer en fonction des modes. Le mâle d’aujourd’hui est imberbe, à l’image des champions du foot italiens qui sont apparus totalement lisses, vêtus d’un simple slip dans une publicité pour Dolce et Gabbana. Et qui osera prétendre que le milieu de terrain Tranquillo Barnetta et ses aisselles épilées manque de virilité?
L’épilation masculine n’est pas seulement entrée dans les mœurs. Elle est aujourd’hui souhaitée, tant par les hommes que par les femmes. «Une fois par mois, je me rase les aisselles, le torse et je taille mes poils pubiens en un joli gazon, confie Maoro Cataldi, la vingtaine, rencontré lui aussi aux Bains. Cela me fait me sentir plus propre.»
Il n’est de loin pas le seul à entretenir son corps en partant ainsi à la chasse au poil. Ludovic Lejeune, la vingtaine également, reconnaît s’être «déjà mis un coup de tondeuse un peu partout». Pour suivre la mode? «Je ne suis pas très poils pubiens toute l’année, peut-être à cause de l’influence des films pornos.» Quant à Alain Antoine, la quarantaine, il se rase régulièrement les aisselles depuis environ trois ans. Il a remarqué qu’elles dégageaient ainsi moins de mauvaises odeurs.
Combien sont-ils, ces garçons qui domestiquent leur toison? «Je dirais qu’un bon tiers des hommes a recours à l’épilation, estime Philippe Pavillard, administrateur de l’institut l’Ile de Beauté à Genève. La pratique est devenue banale, comme un tatouage.»
Certains ont commencé à s’épiler sur la demande de leur partenaire, d’autres parce qu’ils pratiquaient un sport qui l’exigeait, et d’autres encore parce qu’ils avaient envie de suivre la mode, mais sans toujours oser l’affirmer. «Certains hommes ont honte de dire qu’ils s’épilent, alors ils prennent l’excuse que c’est pour le sport, rigole Martine. Mais au moins ils le font!»
Les femmes semblent apprécier les hommes en version glabre. «C’est d’ailleurs un peu bizarre qu’elles veuillent des hommes imberbes, presque des androgynes», réfléchit Maoro. Depuis pas loin de la nuit des temps, la femme est associée à la douceur, notamment grâce à sa peau dépourvue de poils. Logiquement, on s’attendrait à ce que son opposé, l’homme, soit plus rêche et donc un peu hirsute.
Le célèbre psychothérapeute français Gérard Leleu n’est pas étonné de cette évolution du désir féminin. «L’épilation masculine correspond à la nécessité de transition de l’homme «ancien» et donc velu, à l’homme nouveau. Les poils sont associés à la volonté de dominer, et à la répression de la sensibilité. En demandant à leur partenaire de s’épiler, les femmes veulent se débarrasser de l’homme dominateur. Au contraire: elles veulent un homme sensible et tendre.»
Un homme nouveau qui n’a pas la tâche facile et qui se cherche encore. La limite entre l’épilation souhaitable et l’épilation excessive est ténue. Si la plupart des femmes préfèrent voir des hommes au dos lisse, l’épilation des jambes peut vite être interprétée de manière négative. «Les jambes épilées, ça va chez un athlète, mais chez un homme normal, ça fait petit garçon», estime Sonia Favorito, 30 ans.
Sa voisine de plage, Kate O’Nion, 31 ans, dit préférer être avec un homme qui fait attention à lui, «pour autant qu’il n’en fasse pas plus que moi au niveau des soins esthétiques!»
Serait-on arrivé à une parfaite égalité des sexes face au poil? «Ça me fait rire que les hommes se mettent à s’épiler, sourit Martine. C’est une petite vengeance pour nous les femmes.» Mais la médaille a son revers.
«Nous ne pouvons pas nous permettre de rester en rade», complète Diana. Chez les garçons comme chez les filles, la chasse au poil se radicalise. Tout y passe. Poils de bras, de jambe, de dos, de torse, de pubis ou même d’orteil, pas un n’est à l’abri des méthodes ancestrales ou modernes qui visent à l’éradiquer (à la maison, on utilise le rasoir, la crème, la cire et l’épilateur électrique, alors que les instituts proposent l’épilation à la cire, au sucre, ainsi que l’épilation électrique et au laser).
D’après Gérard Leleu, cette aversion pour les poils (et la volonté de s’en débarrasser à tout prix) s’inscrit dans le cadre d’un «reniement par l’humain de son être primitif et de la partie préhistorique qui subsiste en tout un chacun». Si le psychothérapeute n’hésite pas à qualifier ce reniement de «manque d’humilité» de la part des humains, il insiste sur l’importance primordiale pour l’espèce humaine de la perte de ses poils quelques millénaires plus tôt.
«La tendresse est née lorsque le poil est tombé», affirme-t-il. En perdant ses poils, l’humain est devenu extrêmement fragile et dénué. Le bébé n’ayant plus aucun poil auquel s’agripper pour accéder aux mamelles de sa mère, il a fallu que cette dernière s’attendrisse sur son petit et le prenne dans ses bras pour le porter à sa poitrine dans un accès de tendresse et d’amour maternel. L’amour érotique est venu de pair. Quant à l’épilation actuelle, «elle n’a plus qu’une connotation sexuelle ou érogène», selon Philippe Pavillard.
Quel que soit le rôle du poil pour l’espèce humaine en général, il reste sujet aux modes et varie d’un pays à l’autre, notamment en fonction du pouvoir d’achat des habitants. «Chez moi, l’épilation n’est pas à la mode, indique Ilir Islami, quelques poils au torse, et originaire du Kosovo. Les jeunes filles font ce qu’elles peuvent avec les moyens du bord. Le pays sort de la guerre; le poil est bien le cadet des soucis de la population.»
Maoro, qui est d’origine italienne, a lui aussi observé ces différences dans le rapport aux poils. «En Suisse, les gens se font plus de soucis pour les poils, et moins pour leur habillement. En Italie, c’est le contraire, surtout dans le Sud où l’on a moins de moyens. On préfère dépenser pour ce qu’on peut montrer, soit les habits, et moins pour les soins du corps. La différence vient aussi du fait qu’en Suisse les gens font plus de sport et se comparent plus facilement dans les vestiaires», estime-t-il.
Les instituts de beauté suisses ont donc de beaux jours devant eux. Chez les femmes, l’épilation traditionnelle se compose des jambes, des aisselles et du maillot, la plupart du temps sous la forme dite «brésilienne». Cette année, la demande de l’épilation intégrale du pubis est en hausse. On peut également épiler les bras.
Les jeunes filles commencent très tôt, puisque selon Philippe Pavillard, «nos plus jeunes clientes ont douze ans». Chez les hommes, on épile les jambes, les épaules, le torse et le dos, parfois même le pubis. Mais ce dernier type d’épilation n’est pas pratiqué par tous les instituts, afin d’éviter toute gêne ou ambiguïté pour les employés, qui sont en grande majorité des femmes.
Reste que si l’on a aujourd’hui presque tous les moyens de le domestiquer, le poil demeure un ingrat qui n’en fait souvent qu’à sa tête. Le crâne tondu en raison d’un début de calvitie, Maoro en témoigne, «pour la tête je n’ai pas le choix. Les autres poils, ça m’est égal, ce qui compte pour moi ce serait d’avoir des cheveux sur la tête!»
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L’épilation des mâles
Quels sont les poils dont les hommes ont avantage à se débarrasser? Petit guide anatomique.
Aisselles. A épiler, pour des raisons à la fois pratiques («moins de mauvaises odeurs», selon Alain) et esthétiques.
Jambes. Ne pas épiler («ça fait petit garçon», selon Sonia), sauf pour les cyclistes.
Dos. A épiler, y compris les épaules et le bas du dos. Ces poils-là sont souvent cités comme les plus répugnants.
Torse. Pas de consigne particulière: le torse est bien apprécié dans sa version glabre ou poilue.
Pubis. L’épilation du pubis est due en partie à l’influence des films pornos et ne fait pas l’unanimité. Selon Diana, «s’il n’y a pas du tout de poils autour du sexe, ça manque».
