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La Suisse expérimente le tourisme ethnique

New Glarus, Tell City, Helvetia, Frybourg… Les Etats-Unis comptent plus de 5’000 localités aux consonances suisses, et plus d’un million de citoyens aux lointaines racines suisses.

Or, si l’on sait que 18% des Américains voyageant en Europe choisissent leur destination en fonction de leur pays d’origine (selon une étude de l’Office américain de l’industrie du voyage et du tourisme publiée en 2002), cette population pourrait constituer une véritable aubaine pour le tourisme suisse. La Confédération, consciente du potentiel, a lancé le programme Swissroots en mars dernier pour inciter ces lointains cousins à venir visiter le pays.

Pour le consul général de Suisse à New York, Raymond Lorétan, à l’origine du projet, « Swissroots donne une visibilité sans précédent à la Suisse. Ce sera le dernier déclic pour les personnes qui ont un lien avec le pays et qui n’ont pas encore franchi le pas de s’y rendre. »

Plus de 120 manifestations ont lieu dans le cadre du programme, qui s’achèvera fin octobre. Le Pacte fédéral a été présenté à Philadelphie au printemps, une exposition sur l’émigration s’est ouverte le 1er août à Ellis Island et des réunions de famille élargie ont eu lieu un peu partout dans le pays.

« Ces événements créent des réseaux incroyables. Il y a une forte chance que les gens impliqués aient envie de voir la Suisse de plus près », note Raymond Lorétan.

De façon plus ciblée, Swissroots a également organisé et financé le voyage de la star de base-ball Ben Roethlisberger dans l’Emmental bernois, son lieu d’origine. « Ben, qui est une personnalité très connue aux Etats-Unis, est un exemple pour les Américains, poursuit le consul général. Ils se diront: ‘Pourquoi je ne ferais pas la même chose que lui?’”

Swissroots propose même aux Américains de se faire héberger pendant trois à cinq jours par une famille d’accueil suisse. Cette initiative, co-organisée avec l’association Stapferhaus Lenzburg qui proposait déjà de tels séjours, a recueilli 19 demandes depuis mars, indique Brigitte Fuchs-Reber, en charge du projet. « Normalement, nous en recevons entre 15 et 20 par année. »

Preuve de l’intérêt des milieux touristiques, Suisse Tourisme a investi 200’000 dollars dans l’opération. « Nous bénéficions de moyens limités, Swissroots nous a donc semblé être un investissement extrêmement efficace pour promouvoir la Suisse aux Etats-Unis », relève Raphael Henzler, le chef du bureau new-yorkais de Suisse Tourisme. D’autant plus que les résultats continueront à se faire sentir sur le très long terme.

« Deux tiers des personnes qui voyagent en Suisse ont été influencés par les récits de leurs proches », qui leur ont « vendu » la Suisse une fois de retour aux Etats-Unis. Or, l’influence de ces « ambassadeurs » s’étend « sur 2-3 générations », affirme le responsable de Suisse Tourisme.

Pour Guglielmo Brentel, le président d’Hotellerie Suisse, Swissroots a pour principal avantage d’avoir fait parler de la Suisse dans la presse américaine, notamment lors du voyage de Ben Roethlisberger. De même, le pacte fédéral, vieux de 700 ans, fascine. « Il faut avoir des histoires à raconter si l’on veut convaincre les gens de se rendre en Suisse. »

Si on investit autant d’énergie pour faire venir des touristes américains en Suisse, c’est qu’il s’agit d’une clientèle particulièrement intéressante. Les ressortissants des Etats-Unis dépensent en effet beaucoup: entre 330 et 450 francs par jour, contre 150 à 250 francs pour les Européens, selon Suisse Tourisme.

« Ces clients descendent souvent dans les hôtels 4 ou 5 étoiles. Ils ont pris un vol long courrier, coûteux, contrairement aux Européens venus avec easyJet, et son donc prêts à dépenser davantage », souligne Beat Dreier, en charge du marché américain pour Genève Tourisme. Un marché qui a subi une baisse de quelque 30% suite aux attentats du 11 septembre 2001 et à l’épidémie de SRAS en 2003. Le nombre de nuitées est passé de près de 2,2 millions en 2000 à 1,5 million en 2005. Il devenait donc urgent de courtiser cette clientèle à nouveau.

Ce “tourisme ethnique” est-il la solution pour faire revenir les Américains en Suisse? Pietro Beritelli, vice-directeur de l’Institut de tourisme à l’Univeristé de St-Gall, tient à nuancer: « En théorie, cela pourrait être l’une des formes de tourisme avec le plus gros potentiel. D’autres pays, comme Israël ou la Slovaquie s’y sont essayés avec succès. Mais, en Suisse, pour l’heure, il s’agit d’un domaine complètement sous-exploité. On est face à un trou noir. »

Les régions d’origine des Suisses partis aux Etats-Unis — Emmental, Oberland bernois, Glarus, Tessin, Grisons — se trouvent en effet à l’écart des circuits touristiques. « Le parcours classique va de Zurich à Genève, en passant par Lucerne, Interlaken, Zermatt et la Riviera vaudoise. Les tours-opérateurs ignorent le Jura, les Grisons et le Tessin », explique Eric Troutot, enseignant à l’Ecole suisse de tourisme de Sierre.

Les personnes en quête de leurs racines pratiquent en outre un tourisme plus contemplatif que les autres visiteurs. Ils font moins de sport, moins de shopping et davantage de visites culturelles. Or, à ce niveau, la Suisse est pénalisée: « Elle a une image de destination sportive et nature, plutôt que culturelle », note Pietro Beritelli.

Divers facteurs qui font que le tourisme ethnique n’est sans doute pas la panacée pour la Suisse. Il peut néanmoins fournir une source de revenus non négligeables.

« Nous avons d’abord hésité à participer à Swissroots, sachant que les lieux d’origine des émigrants se trouvent essentiellement en Suisse alémanique, dit Beat Dreier, de Genève Tourisme. Mais nous sommes arrivés à la conclusion que ces gens venus de très loin vont de toute façon faire un circuit au travers du pays et passer par Genève. Le programme Swissroots pourrait par ailleurs être étendu à d’autres Etats, comme l’Argentine ou le Canada, qui ont eux aussi recueilli de nombreux Suisses. « Nous possédons désormais le canevas de base (site internet, événements, réseau d’accueil en Suisse), que nous pourrions très bien appliquer ailleurs », confirme Raymond Lorétan.

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Les Suisses partis aux Etats-Unis à partir du 17e siècle se sont essentiellement installés dans le Wisconsin, l’Ohio, l’Indiana, la Californie ou la Pennsylvanie. C’est dans ce dernier Etat que l’on trouve les Amish, descendants des anabaptistes de l’Emmental. Les émigrés suisses fuyaient la pauvreté, la surpopulation et la persécution religieuse, ou partaient simplement en quête de nouvelles opportunités.

La première colonie helvétique date de 1687 en Caroline du Sud. En 1880, 88’621 Suisses résidaient aux Etats-Unis. A titre de comparaison, ils étaient 12’100 en Argentine, 4588 au Canada et 2300 en Australie. Parmi les Américains d’origine helvétique les plus célèbres, on trouve le président américain Herbert Hoover (1929-1932), les acteurs Renée Zellweger et Yul Brynner, le producteur George Lucas, la chanteuse Cyndi Lauper, le concepteur automobile Louis Chevrolet, le photographe Robert Frank ou encore la famille Guggenheim.