«Donnez-moi plutôt un paquet avec le message sur le cancer, s’il vous plaît!» Ce client ne veut pas recevoir un avertissement sur les risques d’impuissance. Il demande à la vendeuse du kiosque qu’elle lui donne un autre paquet de cigarettes.
C’est la première histoire drôle, réelle, que j’ai entendue à propos de la nouvelle présentation des emballages de cigarettes, obligatoire depuis l’entrée en vigueur, le 1er mai, de l’ordonnance sur le tabac.
Le comportement de Fred est comique lui aussi. A peine a-t-il franchi le seuil du kiosque qu’il se livre à une curieuse opération. Il extrait de son sac un ancien paquet de Gitanes — précieusement conservé — dans lequel il transfert le contenu du nouveau paquet, puis jette celui-ci dans une corbeille. «Ce n’est pas la fumée qui me tuera mais la connerie de notre société», commente-t-il.
Catherine, une non fumeuse qui assiste à la scène, estime en regardant le paquet de Gitanes initial que, «du point de vue strictement esthétique, c’est un véritable crime que d’oser coller quelque chose sur cet objet mythique».
Qu’ils l’admettent ou s’en défendent, nombreux sont les fumeurs qui développent une allergie à cette nouvelle présentation et tentent de la dissimuler. Les ventes de cache emballages de cigarettes l’attestent. Les plus vendus sont ceux en carton que l’on trouve un peu partout. Avec un franc, on fait disparaître les phrases effrayantes derrière une croix suisse, Che Guevara, des roses, un paysage ou des images érotiques.
A Thalwil, depuis deux ans, l’entreprise Connex occupe cette nouvelle niche à l’échelon européen. Elle a déjà vendu près de huit millions de cache. Vincenzo Carrieri, le directeur, affirme ne pas avoir compté sur un tel succès. Il sait cependant qu’il ne pourra pas surfer très longtemps sur cette vague.
Les clients de ce qu’il nomme son «Lifestyleprodukt» pensent naïvement pouvoir éloigner le danger avec la disparition visuelle de la mise en garde. Un petit jeu dont ils ne sauraient être dupes très longtemps.
Une autre partie de la clientèle de Connex est formée de ceux qui aiment faire la nique à l’autorité. Ici aussi, on se lasse vite. A l’étranger, l’intérêt pour ce produit a connu un bel emballement avant de chuter rapidement.
Après les cache-paquets de cigarettes, on pourrait bien produire des cache-bouteilles. En effet, en France, ce sont les bouteilles d’alcool qui devront, dès l’été prochain, porter un pictogramme — silhouette d’une femme enceinte barrée — ou une mention: «La consommation de boissons alcoolisées, pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant.»
Tant que les campagnes de prévention recourront à la peur, les «cache-mise en garde» auront un bel avenir. Pour Michel Morin, professeur de psychologie à l’Université d’Aix-Marseille, «les moyens de résistance en matière de changement d’habitude sont innombrables. Celui qui fume trouve toujours le moyen d’éviter les informations inquiétantes. Les projets de communication sur le risque devraient prendre en compte la probabilité très élevée d’une élaboration défensive des messages par les cibles de la campagne. Cette précaution est particulièrement nécessaire dans le recours à la peur comme moyen d’influence. Trop de peur inhibe et fait fuir le public non captif.»