Qu’y a-t-il donc en commun entre Pelé, Mick Jagger et l’empire médiatique Warner? Entre Franz Beckenbauer, Henry Kissinger et le mythique Studio 54?
Réponse: le Cosmos de New York, club de football aussi glamour qu’éphémère, qui fit vibrer le tout New York à la fin des années 70. Et dont l’histoire mouvementée est relatée par un documentaire qui vient de sortir en salle outre-Atlantique.
«Once In A Lifetime: The Extraordinary Story of the New York Cosmos» traite en effet d’une parenthèse à peine croyable et largement oubliée de l’histoire de la Grande Pomme et du sport américain.
Entre 1975 et 1980, le soccer s’imposait brièvement comme le sport le plus en vogue de la ville, et les Cosmos, à l’aide d’une pléiade de stars du football mondial en fin de carrière, faisaient figure d’attraction à la mode pour célébrités. En se distinguant aussi bien sur les terrains d’Amérique du Nord que sur les plus fameuses pistes de danse du moment. Les Cosmos de New York, c’était le ballon rond et les boules disco placées sur une même orbite.
Rien ne laissait pourtant présager un tel engouement.
Au début des années 70, les Cosmos vivotent au sein d’un championnat professionnel nord-américain, la NASL, moribond et peu suivi. Ils sont condamnés à évoluer devant des affluences confidentielles dans un stade délabré de Randall’s Island, entre Manhattan et le Bronx.
Quant à la presse, elle n’a que faire du soccer, qu’elle relègue à la rubrique des chiens écrasés. C’est à cette époque que le journaliste David Hirschey, aujourd’hui éditeur exécutif de HarperCollins Publishers et grand spécialiste de l’épopée des Cosmos de New York, entame sa carrière
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Lorsqu’il se présente devant Dick Young, le chef de la rubrique sportive du New York Daily News, et lui fait part de son envie de couvrir le soccer, la réponse qu’il reçoit est cinglante: pas besoin de perdre son temps sur un sport pour poules mouillées en shorts.
En short ou sans. Pour donner un peu de visibilité à son club, et arrondir ses fins de mois avec un chèque de 5’000 dollars, le gardien des Cosmos, Shep Messing, montre ses fesses et bombe le torse dans un magazine local.
Si la pratique est aujourd’hui banalisée (des rugbymen du Stade Français aux pompiers de Genève), l’esthétique soft-porn tranche avec les habitudes de l’époque. Messing perd son emploi d’enseignant, qui complétait son revenu de footballeur, et se voit écarté de l’équipe. L’horizon semble bouché pour longtemps. Mais il va s’éclaircir du jour au lendemain.
Le tournant intervient en 1975. Steve Ross, homme d’affaire excentrique et charismatique, directeur de Warner Communications et président des Cosmos, comprend que s’il entend développer le football aux Etats-Unis, il aura besoin du meilleur joueur du monde.
Apprenant que Pelé n’a rien à envier à Mohamed Ali ou au pape en termes de popularité, le magnat arrête son choix. Il faut recruter le champion brésilien. L’idée est séduisante. Encore faut-il la réaliser.
Alors âgé de 34 ans, le roi Pelé a tiré sa révérence huit mois auparavant et quitté son club de toujours, le FC Santos. Il a décliné les propositions de grandes équipes européennes qui lui font les yeux doux, comme la Juventus de Turin. Et le Brésil, qui l’a déclaré «trésor national», est peu enclin à le laisser s’exporter.
Ross va donc faire marcher ses réseaux tentaculaires. Et fait appel au talent et au poids diplomatique de son ami Henry Kissinger, passionné de football depuis son enfance allemande et ancien gardien de but.
Le secrétaire d’Etat américain saura trouver les mots pour convaincre Brasilia de laisser filer son joyau «pour le bien des relations entre les gouvernements américain et brésilien».
Mais l’offre alléchante et le contrat juteux proposé par Ross — entre 2 et 5 millions de dollars sur deux ans selon les sources — achèvent de persuader Pelé. Car Edson Arantes do Nascimento cherche à se refaire une santé financière après quelques investissements malheureux, et notamment la faillite d’une usine de caoutchouc. Le Cosmos est donc pour lui l’occasion de rebondir au pays du chewing-gum.
Et de diriger une mission civilisatrice en terres païennes. Car les Etats-Unis sont encore une terra incognita du ballon rond, et le soccer très loin de la place qu’il occupe actuellement en Amérique, en tant que sport le plus pratiqué par les jeunes.
Le roi Pelé est intronisé évangélisateur en chef chargé de diffuser la bonne parole. Ou plutôt gourou en quête de disciples prêts à ouvrir généreusement leurs portes-monnaies. Car l’entreprise est loin d’être désintéressée et philanthropique.
Ross et ses homologues présidents de clubs attendent en effet un retour sur investissement. Le contrat signé par Pelé préfigure les accords signés aujourd’hui par les plus grands joueurs, incluant droits d’image et contrats de licences. Et le Cosmos, qui multiplie les tournées, devient une sorte d’antenne au service de Warner Bros, utilisée pour promouvoir la compagnie.
Le premier match de Pelé a lieu le 15 juin 1975. Il attire plus de 20’000 spectateurs sur Randall’s Island et sera diffusé dans 13 pays. Mais ses partenaires sont loin d’être la hauteur et la surface de jeu tient plus du terrain vague que du terrain de football. Quelques minutes avant la rencontre, on peut même observer des hommes à genoux qui enduisent la pelouse dégarnie de peinture verte, afin de la rendre plus télévisuelle.
L’intention est louable, mais on raconte qu’elle manque de faire rentrer Pelé illico au pays. Lorsque, à la fin de la partie, il découvre avec horreur la plante de ses pieds devenue verdâtre, il croit avoir affaire à un champignon parasite new yorkais.
L’étape suivante consiste à entourer Pelé de joueurs capables de lui donner la réplique et à remplacer l’équipe de bric et de broc de 1975. Dans le souci de plaire aux différentes communautés ethniques de la ville, Ross va donc recruter des joueurs du monde entier.
Surtout, le Cosmos s’offre les services de quelques autres grands noms du football international. Comme Franz Beckenbauer, capitaine de l’équipe d’Allemagne et du Bayern de Munich, Carlos Alberto, capitaine du Brésil champion du monde en 1970, et l’attaquant italien Giorgio Chinaglia. Un quart de siècle avant le Real Madrid et ses «Galactiques», les New York Cosmos ont déjà tout inventé.
Avec cette équipe stellaire, le soccer devient l’attraction du moment à Manhattan. Mis en scène à l’américaine, à grands renforts de pom-pom girls, les Cosmos provoquent un engouement phénoménal et enregistrent des affluences record au Giants Stadium, leur nouveau théâtre, dans lequel se pressent régulièrement plus de 70’000 spectateurs.
La frénésie gagne aussi le monde du show-biz. Le soccer est devenu trendy et Mick Jagger, Peter Frampton, Barbara Streisand, Robert Redford ou, une fois encore, Henry Kissinger, se bousculent à la porte des vestiaires comme on cherche à féliciter un acteur à la fin d’une représentation sur Broadway.
Les matches à peine terminés, des limousines noires attendent les joueurs à l’extérieur du stade pour les conduire au Studio 54, où une table leur est réservée. Habillés par Ralph Lauren, ils y festoient parmi la crème des nuits new yorkaises, à grandes lampées de Chivas Regal et de Dom Pérignon.
Car l’histoire des New York Cosmos est à double face. Au-delà du football, c’est aussi celle du fric chic, des soirées arrosées et des filles faciles. Celle d’une équipe qui mène grand train et croque à pleine dents dans la pomme new-yorkaise. Une équipe qu’un club rival tente d’affaiblir à la veille d’un match en envoyant deux prostituées attendre Pelé et Chinaglia à leur sortie d’avion.
Buteur vedette et ours mal léché au jeu de maçon, ce dernier se plaît à endosser le rôle du méchant. Favori du président Ross, celui qui aime aujourd’hui être comparé à Tony Soprano terrorise ses coéquipiers à coups de réparties lancées comme des parpaings.
A Pelé, qui lui reproche de tenter sa chance dans des angles impossibles, il répond: «Si Chinaglia tire dans un angle, c’est que Chinaglia peut marquer dans cet angle.»
Mais après le retrait de Pelé en 1977, puis de Beckenbauer en 1980, l’intérêt pour le soccer diminue à New York. A l’image d’une comédie musicale, sa popularité n’aura duré que quelques saisons. Et le public aura fini par s’en lasser. Par manque de compétition notamment, car les clubs des autres grandes villes, Seattle, Houston ou Vancouver entre autres, auront souvent peiné à s’implanter et à trouver leur public.
En 1984, la North American Soccer League (NASL) implose, victime de sa folie des grandeurs. Sa disparition précipite la mort des derniers clubs qui la composaient.
Elle aura néanmoins constitué un facteur majeur de diffusion du football aux Etats-Unis. Et permis aux New York Cosmos de rivaliser, l’espace de quelques années, avec leurs concurrents du baseball et du football américain, les Yankees et les Giants. Avant tout grâce à un président, Steve Ross, si passionné qu’on devait l’attacher à son siège pour éviter qu’il ne chute des tribunes durant les rencontres.
Paradoxalement, l’heure de gloire des New York Cosmos aura correspondu à une période noire de l’histoire de la métropole, au bord de la banqueroute et marquée par une criminalité endémique, des quartiers en pleine décrépitude, le blackout de 1977 et le tueur en série du «Summer of Sam».
Mais trente ans plus tard, la Grande Pomme pourrait retrouver une équipe à la hauteur des illustres Cosmos. Le 9 juillet dernier, le New York Times évoquait la possibilité que le nouveau club phare de la ville, les New York Red Bulls, s’attachent les services de Zinédine Zidane et du Brésilien Ronaldo.