Homme d’élégance et de tradition, Philippe Stern, président de Patek Philippe, explique à Largeur.com pourquoi il préfère se concentrer sur l’excellence plutôt que l’augmentation de la production ou des parts de marché.
Pour tous les connaisseurs, Patek Philippe représente l’incarnation parfaite de l’élégance et de la tradition horlogère. Il y a donc une certaine logique à ce que le président et directeur de l’entreprise, Philippe Stern, soit considéré comme l’un des hommes d’affaires les plus élégants du pays (notamment par le magazine Bilan dans son classement annuel). Depuis trois générations, la famille Stern pilote ce prestigieux vaisseau amiral de l’horlogerie suisse.
Les frères Charles et Jean Stern – propriétaires d’une fabrique de cadrans – ont en effet racheté Patek Philippe en 1933, alors que l’entreprise peinait à sortir de la crise économique de 1929. Henri Stern, fils de Charles, hérita du flambeau en 1958, puis le confia à son fils Philippe. Cet homme d’affaire discret, passionné de voile, a très aimablement reçu Trajectoire au siège de Patek Philippe à Plan-les-Ouates.
L’année dernière a été exceptionnelle pour toute l’industrie. Comment voyez-vous 2006?
Les ventes de décembre-janvier nous encouragent à être optimiste. Nous avons eu d’excellents échos de nos nouvelles collections, et les chiffres d’exportation à la fin avril sont très satisfaisants. A nos yeux, il n’y a donc aucune raison que 2006 soit moins bonne que 2005.
En comptant ses filiales à l’étranger, Patek Philippe emploie environ 1500 personnes. Avez-vous de la peine à recruter de nouveaux horlogers?
C’est un souci permanent. On ne trouve pas assez d’horlogers sur la place. Raison pour laquelle nous avons monté un centre de formation interne, en partenariat avec l’Ecole d’horlogerie. Nous y formons des horlogers du monde entier, car nous avons besoin de spécialistes aussi dans nos filiales, pour assurer le service après-vente.
Comment voyez-vous la croissance de la marque?
Nous développons les nouveaux marchés, comme par exemple la Russie et la Chine. Nous avons ouvert une boutique à Shanghai l’an dernier. La croissance passe aussi par l’élargissement de la gamme.
Nous développons par exemple les modèles sportifs, moins chers, et ceux pour femmes. Cette clientèle s’intéresse moins à la mécanique et change de montre souvent dans la semaine, en fonction des humeurs et des occasions. C’est pour cela que notre collection dame utilise un mouvement à Quartz. Certaines femmes portent cependant nos modèles pour homme puisque la tendance va vers des cadrans plus larges pour les dames.
Pourquoi achète-t-on une montre haut de gamme aujourd’hui? Est-ce avant tout un investissement?
On n’achète pas une Patek pour regarder l’heure mais pour posséder un bel objet. Pour se faire plaisir et célébrer un moment important de sa vie. Il y a de l’émotion dans l’achat d’une telle montre, comme pour l’acquisition d’une œuvre d’art, car il s’accompagne généralement de la volonté de la transmettre aux générations futures, ce que résume notre slogan.
Ce retour à l’horlogerie de tradition a commencé au milieu des années 1980. Nous produisons aujourd’hui 28’000 montres mécaniques par année, et environ 10’000 à Quartz. Il faut du temps, plusieurs mois, pour construire une Patek Philippe. Notre objectif reste de nous concentrer sur l’excellence, dans le secteur niche du haut de gamme, et pas d’augmenter la production ou les parts de marché.
L’an dernier, Patek Philippe présentait le premier spiral en silicium, et cette année, un hydro-échappement dans cette même matière. Ces innovations restent-elles importantes pour une marque qui vend essentiellement de la tradition?
Notre politique est simple: elle consiste à fabriquer les meilleures montres du monde. Nous devons donc sans cesse améliorer nos produits, ce qui passe par l’innovation technique. Avec Rolex et Swatch Group, nous avons signé un partenariat avec l’institut de microtechnique de Neuchâtel qui a mis au point un nouveau silicium.
C’est avec ce matériau que nous avons réalisé la roue d’échappement et le spiral, dont la géométrie est brevetée. Un tel spiral est beaucoup plus mince, de l’ordre de 0,15 mm au lieu de 0,40 mm. Notre équipe de recherche compte environ 40 personnes, dont une quinzaine pour la mécanique.
Pourquoi ne pas rentabiliser ces investissements en produisant des mouvements pour d’autres marques?
Notre capacité permet juste de répondre à nos propres besoins, et nous voulons maintenir notre longue tradition d’entreprise familiale indépendante. Cette réputation nous rend plus crédible, car la maison ne change pas rapidement, et ne subit pas la pression d’un grand groupe.
En ce sens, est-ce une culture proche de celle des banques privées genevoises?
Oui car nous devons créer un lien de confiance avec nos clients sur le long terme et que les valeurs de l’entreprise se transmettent d’une génération à l’autre.
Quand votre fils Thierry va-t-il reprendre les commandes?
J’ai 68 ans et je ne compte pas continuer à travailler pendant 10 ans… La transmission se fera progressivement dans les années qui viennent.
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Des montres, et des prix, d’exception
Patek Philippe n’a pas usurpé sa réputation d’excellence en matière d’horlogerie. Ce positionnement tout en haut de la gamme, et le savoir-faire technologique ancestral de l’entreprise, expliquent aussi les prix élevés de ses montres. En 1989, pour les 150 ans de la marque, le modèle Calibre 89 a été décrétée «montre la plus compliquée du monde»: neuf ans de travail pour la construire. A 3,5 millions de francs, la Calibre 89 battait aussi des records en matière de prix.
Typiquement, une Patek grande complication se vend environ 1 million de francs, tandis qu’un modèle équipé d’un quantième perpétuel (dont la mécanique maîtrise aussi les années bissextiles) atteint environ 400’000 francs. Les modèles de la collection plus courante, avec un quantième annuel, s’achètent pour moins de 30’000 francs. Les modèles d’entrée de gamme, qui visent la clientèle sportive avec des boîtiers en acier, démarrent à 8000 francs.
«Nous souffrons moins de la contrefaçon que les plus grandes enseignes, parce que notre marque reste relativement peu connue et intéresse essentiellement les connaisseurs, constate Philippe Stern. En Asie, on a cependant trouvé des copies, dont la qualité s’est améliorée ces dernières années. Nous participons activement à la lutte contre ce fléau.»
Réouverture en décembre à la rue du Rhône
Depuis le pont du Mont Blanc, les Genevois aperçoivent le bâtiment historique de Patek Philippe, sur la rue du Rhône, actuellement en transformation. Il abritera une nouvelle boutique et ouvrira en décembre, après deux ans de travaux. «Il s’agit de consolider notre présence physique dans la ville, explique Philippe Stern, directeur général. C’est un investissement important, car il est plus coûteux de restaurer ainsi un bâtiment historique que de construire du neuf.»
Le bâtiment de la rue du Rhône abritait le siège historique de Patek Philippe en 1839. L’entreprise s’est regroupée il y a dix ans à Plan-les-Ouates, dans un complexe à 125 millions de francs.
Autre présence de la marque dans la ville, le musée Patek Philippe, a été ouvert en 2001 à Plainpalais. Il retrace l’histoire de l’horlogerie genevoise et accueille 20’000 visiteurs par année.
