Il est désormais possible de juger du standing d’une voiture en ne s’attardant que sur ses jantes. Certaines peuvent atteindre 50’000 dollars la pièce. Les stars du hip hop en ont fait un objet de démesure.
On n’a jamais fait mieux sur terre, pour avancer, que la roue. De simple pièce en mouvement, la plupart du temps noire avec des trous, la jante est devenue un accessoire plus élégant grâce à l’alliage léger.
Mais il fallait faire mieux. Puisqu’il semble impossible d’améliorer une invention vieille comme la civilisation, les fous d’automobile ont créé la jante riche comme Crésus. La jante «bling bling», intégralement chromée quand elle n’est pas plaquée or ou ornée de diams. De taille démesurée de préférence, capable à elle seule de mettre en valeur n’importe quel SUV, quand elle ne fait pas oublier son but: rouler.
La jante XXL, ou OTT (Over The Top), est un fantasme nord-américain, plus particulièrement black et masculin. En deux mots, viril et macho.
La revue King, qui se définit comme «le magazine masculin le plus malade jamais publié», juxtapose dans chaque numéro, sur papier glacé, la peau mate de pulpeuses Afro-américaines et le chrome étincelant de jantes délirantes. Il n’y a pas de limite à l’imagination des fabricants de roues, que ce soit dans les matières utilisées, les gravures, la taille ou le prix.
Ainsi, une Mercedes ML, une Range Rover ou une Porsche Cayenne Turbo (noires) deviennent des pièces rapportées sur quatre roues de 30 pouces, brillantes comme des fausses dents en or, et coûteuses comme les fonds propres d’un appartement en ville.
N’importe quel rappeur qui se respecte possède son Hummer ou son Cadillac Escalade, un 4×4 aux mensurations de locomotive toujours agrémenté de jantes démesurées qui le font appartenir à une nouvelle classe: la tribu de ceux qui en ont, et tant pis si cela fait un peu vulgaire.
Flairant la bonne affaire, le rappeur P. Diddy a d’ailleurs lancé l’an dernier sa propre marque de jantes, «Sean John Wheels».
La mondialisation des goûts — et des couleurs — aidant, la folie de la jante qui tue est arrivée en Suisse. Chez Dream Car Racing, l’atelier qui donne le «la» en matière de tuning, au Grand-Saconnex, le responsable montre avec fierté une photo de sa Volkswagen New Beetle chaussée de jantes massives, enrobées de pneus minimalistes.
Le prix des quatre roues, près de 11’000 francs au total, était équivalent au prix de la voiture. Son propriétaire l’a revendue à un jeune homme qui a dû se contenter des jantes d’origine, faute de moyens.
Parce qu’une jante qui en jette, ça coûte cher. Rien à voir avec les 200 francs que coûte la plus commune d’entre elles qui équipe une voiture de série d’entrée de gamme. Une jante chromée atteint facilement les 1000 francs la pièce, voire davantage en fonction de la marque et du design.
La taille d’une jante normale pour une berline classique est actuellement de 16 pouces, chaussée de pneus de 205 mm de largeur, et dont le flanc est égal à 55% de la largeur du pneu.
Bien que les constructeurs automobiles fassent de gros efforts pour proposer un éventail de styles différents, les accros du tuning ne sauront se satisfaire de roues aussi communes.
Une jante, après tout, est l’accessoire le plus accessible, et l’un des plus visibles, pour se faire remarquer. Il ne demande aucune modification technique, particulièrement en Suisse où les roues doivent toutes être accompagnées d’un certificat d’homologation.
La seule contrainte est donc celle du puits de la roue, qui ne peut accepter d’être empli au-delà du frottement…
Heureusement pour les fanas de la jante chromée, les SUV sont bien plus accommodants. Aux Etats-Unis, l’engin de guerre qu’est le Hummer H2 peut accepter des jantes de 30 pouces, la taille maximum proposée aujourd’hui. Avec le pneu, cette roue atteint donc 35 pouces, soit près de 89 centimètres! Le double de la jante lambda qui équipe, de série, une Mercedes classe C.
Dans le magasin Off-Road accessoires, à Genève, de nombreuses roues atteignent cette taille gargantuesque à la différence près que c’est le pneu, et pas la jante, qui permet d’atteindre ces dimensions. La raison en est simple: plus une jante est haute, plus le pneu doit être fin, donc dur. Et sans relief. Or le but d’un pneu de 4×4 est d’accrocher dans le terrain, et d’être souple pour offrir un confort maximum.
Il est toujours possible de monter des jantes gigantesques sur un grand véhicule, mais comme l’expliquent les responsables de Dream Car Racing et de Off-Road accessoires, c’est toujours au détriment de l’efficacité, ou du confort.
En d’autres termes, la méga jante est une question d’apparence. Le top du top est atteint par la jante constellée de pierres précieuses. Prix de l’unité, 75’000 francs.
Dream Car Racing la représente, mais au grand désarroi du responsable, personne en Suisse ne la lui a encore commandée. D’autres jantes peuvent aussi être décorées du cuir d’autruche qui tend les sièges, pour un total look digne de «Miami Vice». Très années 80 autrement dit.
Enfin, les jantes rutilantes ne connaissent pas la durée de vie d’une jante lambda. Dream Car Racing explique que de nombreux client changent leurs jantes lorsqu’il est temps de changer de pneus. Un peu comme on changerait sa Mercedes quand le cendrier est plein. Résultat, le marché de l’occasion est pléthorique. Ne vivons-nous pas une époque formidable?
