C’est une étrange discipline qu’a inventée le situationniste Asger Jorn il y a plus de trente ans: ses matches de foot avec trois équipes continuent de fasciner une petite frange d’afficionados.
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Pour «déconstruire la mythique structure bipolaire du football conventionnel», l’artiste danois Asger Jorn (1914-1973), membre de l’Internationale situationniste, avait imaginé, dans les années soixante, le football à trois équipes en guise d’illustration de sa théorie trialectique. Il s’agit en fait d’une logique ternaire qui introduit, en plus du vrai et du faux, le possible, l’inconnu, le ni vrai ni faux.
Avec Asger Jorn, fini les matches opposant deux équipes. Il convient de donner une nouvelle dimension au football traditionnel qu’il perçoit comme la poursuite de la lutte des classes sur le gazon!
Ce jeu joué sur un terrain hexagonal, avec trois buts, est totalement imprévisible: contrairement à un duel où les deux adversaires sont fixés à l’avance, il s’agit ici de constituer des alliances qui permettent d’incessants retournements de situation. L’agression et la compétitivité laissent place à la persuasion et à la collaboration. Pas de numéros sur les maillots, mais des hiéroglyphes moyenâgeux de l’alphabet énochien. De plus, l’équipe gagnante n’est pas celle qui a marqué le plus de buts mais celle qui en a encaissé le moins.
Après bien des années d’oubli, cette tentative de réforme intéressa la London Psychogeographic Association (LPA) qui en fixa les règles et organisa la première rencontre de football à trois côtés lors de l’Université d’été anarchiste de Glasgow en 1993.
Ici, pas de FIFA qui fait la pluie et le beau temps, mais la «Ligue Luther Blissett de football à trois côtés» (Luther Blissett 3-Sided Football League). Qui est donc ce Luther Blissett? C’est un footballeur britannique, meilleur buteur du championnat d’Angleterre en 1983, qui n’imaginait pas que des anarchistes allaient le transformer en héros.
A en croire une légende urbaine, Luther Blissett aurait organisé des rencontres à trois équipes alors qu’il jouait avec l’équipe de Watford dont le propriétaire n’est autre qu’Elton John. Le chanteur le transforma en marchandise en le vendant à l’AC Milan. Un des premiers grands transferts de l’histoire du foot. Un statut qu’il refusa d’assumer. Dès son arrivée en Italie, il joua les saboteurs aux faits et gestes inattendus.
Luther Blissett est devenu un pseudonyme multi usages. Ainsi, dès 1994, il a été utilisé par des centaines de hackers, alors qu’en Italie, un réseau organisé (le Luther Blissett Project) a diffusé de fausses nouvelles de 1994-1999, et que des écrivains à quatre voix ont eux aussi utilisé son nom.
Mais revenons au foot. La Ligue Luther Blissett a recruté des adeptes en Angleterre, en Ecosse, en Italie, en Serbie, en Pologne et en Autriche. Curieusement, le score des matches est de 4-2-1 par exemple. Pour briser le nationalisme, les équipes ne sont pas celles d’Etats mais de villes.
Pour l’heure, le scandale des matches truqués et la corruption des arbitres inquiètent davantage Sepp Blatter que la réforme demeurée très confidentielle de la Ligue Luther Blissett de foot à trois équipes.