LATITUDES

Des matches politiquement explosifs

Souvenirs de colonisation, de guerres, d’émigration… Ce Mondial 2006 promet bon nombre d’affrontements fratricides. Présentation des terrains minés du premier tour.

Certains matches dépassent le strict cadre du sport lorsqu’ils mettent aux prises des pays intimement liés ou profondément opposés par l’histoire. On se souvient de l’affrontement RFA-RDA lors du Mondial allemand de 1974. D’Argentine-Angleterre en 1986, quatre ans après la guerre des Malouines. Ou encore du match Etats-Unis-Iran de 1998.

Cette année, le premier tour du Mondial offre un menu riche et varié en parties fratricides. Colonisation, émigration et diaspora, guerres, métissage culturel ou même opposition de classes… Tour d’horizon des rencontres les plus explosives.

Allemagne-Pologne, mercredi 14 juin

Entre l’Allemagne et la Pologne, c’est beaucoup plus qu’une simple affaire de voisinage. Les deux pays sont unis par des liens inextricables, tissés par l’histoire, pour le meilleur et pour le pire.

De l’invasion par les Chevaliers teutoniques à l’occupation hitlérienne, en passant par les délocalisations d’industries, les occasions de conflits ont été nombreuses, et pourraient servir de prétexte à des affrontements entre hooligans d’extrême-droite.

Et de la propagation de la culture germanique en Prusse à l’importante émigration polonaise dans la Ruhr au XIXe siècle, les échanges culturels entre les deux peuples ont été intenses. La ville de Gdansk, l’ancienne Dantzig, membre de la ligue hanséatique, symbolise cette proximité culturelle.

Comme pour rappeler cette communauté de destins, deux des meilleurs attaquants de l’équipe d’Allemagne sont nés en Pologne. Lukas Podolski, grand espoir du FC Cologne, à Gleiwitz en 1985. Et Miroslav Klose, révélation allemande de la Coupe du Monde asiatique, à Oppeln en 1978, d’un père footballeur professionnel et d’une mère internationale polonaise de handball.

Mais ce match est aussi un remake de la partie décisive de 1974 à Francfort, dont l’enjeu était une place en finale de la Coupe du Monde face à la Hollande de Cruyff. A l’époque, des pluies diluviennes avaient nécessité l’intervention des pompiers, sans beaucoup de succès. Sur un terrain gorgé d’eau, les Allemands l’emportèrent grâce à un but de Gerd Müller.

Cependant, les Polonais et les Allemands d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier. Si la Pologne avait obtenu une excellente troisième place, elle ne possède plus dans ses rangs des individualités de la classe des Tomaszewski, Deyna ou Lato d’alors. Quant à l’Allemagne, son contingent apparaît bien tendre pour disputer le titre. Mais avec les Allemands, sait-on jamais.

Angleterre – Trinidad et Tobago, jeudi 15 juin

A priori, cette rencontre entre insulaires semble bien déséquilibrée, et son intérêt sportif limité. Pourtant, Trinidad et Tobago, le petit poucet de la compétition, avec seulement un peu plus d’un million d’habitants, suscite une énorme effervescence en Grande-Bretagne, où les maillots de la sélection caribéenne se sont arrachés, au point d’être en rupture de stock.

Car le Royaume-Uni, lieu d’immigration traditionnel des Caribéens anglophones, abrite une forte communauté trinidéenne. Celle-ci est d’ailleurs à l’origine du célèbre carnaval de Notting Hill, qui rappelle chaque année toute la richesse du métissage culturel londonien.

Et la plupart des joueurs de Trinidad évoluent en Grande-Bretagne. Bien que professionnels, ils sont au service de clubs situés dans les divisions inférieures anglaises et dans le championnat écossais.

A la rivalité culturelle s’ajoute donc une sorte de rivalité de classes, entre des joueurs anglais millionaires et surmédiatisés, et des Trinidéens méconnus, tâcherons du football professionnel britannique.

Angola – Portugal, dimanche 11 juin
et Togo – France, vendredi 23 juin

Voilà deux matches qui opposent d’anciens colonisateurs et leurs ex-colonies africaines. Si celles-ci auront à cœur de faire tomber leurs dominateurs d’antan, elles conservent des liens très étroits avec eux.

On trouve ainsi au Portugal une forte communauté angolaise, et en France une importante communauté togolaise. Les joueurs angolais, en majorité employés par des clubs portugais, et togolais, principalement dans des clubs français, reproduisent ce schéma, attirés par les promesses de l’eldorado européen.

Mais la saine rivalité pourrait se transformer en envie d’en découdre. En 2001, une partie amicale entre le Portugal et l’Angola vira au combat de rue. Après l’expulsion de quatre Angolais, et la blessure d’un cinquième, l’arbitre fut forcé d’interrompre le match à la 67e minute, faute de combattants. Plusieurs acteurs de cette farce seront en représentation en Allemagne.

Quant à la France, elle devra se méfier des Togolais. En 2002 en Corée, elle avait été vaincue par la furia sénégalaise lors du match d’ouverture. Aura-t-elle retenu la leçon ?

Australie – Croatie, jeudi 22 juin

Les Croates ont beaucoup émigré, et beaucoup ont choisi le rêve australien, où leur diaspora est forte de 300’000 à 400’000 personnes. Aussi, on retrouve beaucoup d’éléments d’origine croate chez les Socceroos, l’équipe nationale australienne. C’est le cas d’un bon quart des 23 sélectionnés pour l’Allemagne, parmi lesquels leur capitaine, l’imposant Mark Viduka.

En 1995, celui-ci est même convaincu par Franjo Tudjman de rejoindre les rangs du Dinamo Zagreb, club-jouet du président, qui avait compris que les passions sportives pouvaient servir à renforcer son pouvoir nationaliste.

Pourtant, certains footballeurs croates sont tiraillés entre leur nouvelle identité océanienne et leurs origines balkaniques. Bien que nés et éduqués dans l’hémisphère sud, plusieurs d’entre eux représentent aujourd’hui le pays de leurs ancêtres, décidés par une fédération habile à dénicher les meilleurs descendants croates de par le monde. Ainsi, trois joueurs nés en Australie ont été inclus dans l’équipe au damier qui disputera la Coupe du Monde.

Mais le phénomène devrait être freiné à l’avenir, si l’on en croit Mark Viduka, pour lequel la qualification des Socceroos marquera un tournant. Désormais, porter le maillot de l’Australie, équipe montante dans la hiérarchie mondiale, pourrait être tout aussi intéressant que d’évoluer avec la Croatie.