«Style énergique, sportif, chic féminin et parisien, un air de jeune quadragénaire toujours avide d’action». Cette couronne de louanges ne s’adresse pas à Doris Leuthard, la sémillante présidente du PDC et peut-être future conseillère fédérale. Non, l’hommage vient d’être déposé aux pieds de Ruth Metzler, et par quelqu’un qu’on ne peut soupçonner de jeunisme forcené ou de féminisme aveugle: le libéral genevois Jacques-Simon Eggly.
C’est dire si le départ anticipé du bientôt retraité et déjà peu regretté Joseph Deiss aura distillé dans le petit monde de la politique fédérale comme un parfum de nostalgie, avec une légère fragrance de remord, sur l’air de «Mon dieu qu’avons-nous fait?»
Oui, qu’avons-nous fait en lynchant Ruth Metzler, cette jeune femme parée aujourd’hui, à posteriori, de toutes les qualités, et qui est la seule, ironie de l’histoire, à correspondre point par point au portrait-robot du successeur idéal de Deiss, ce même Deiss pour lequel on l’avait allégrement sacrifiée un matin de décembre 2003: femme, PDC, alémanique, et une expérience de l’exécutif, qu’une Doris Leuthard n’a pas.
De plus, une candidature Metzler aurait eu l’avantage de tirer le PDC d’un embarras dont on a beaucoup glosé ces derniers jours au fond des marmites médiatiques.
Doris Leuthard est bien la candidate naturelle mais elle est aussi une présidente de parti irremplaçable qui a su pacifier cet oiseau PDC aux ailes folles battant dans tous le sens avec ses chrétiens-sociaux en sandales de moine, ses vieux paysans qui n’ont pas encore digéré le Sonderbund, et ses néo-libéraux de sacristie, à la Bush.
Jamais pourtant, hormis dans les sondages, le scénario Metzler n’a été envisagé. Parce que cela ne se fait pas. Parce qu’un conseiller fédéral, ça ne siège qu’une fois et baste. Une loi écrite nulle part mais inscrite dans le granit des habitudes et des mentalités.
On pourra rétorquer qu’on n’y perdra pas au change: Metzler et Leuthard c’est un peu blanc jupon et jupon blanc, jusque dans l’apparence physique. On ne sache pas que troquer une Appenzelloise contre une Argovienne se soit jamais révélé une arnaque.
Sauf que trois ans auront été perdus, trois ans d’un Conseil fédéral composé, comme le signifiait à l’époque une caricature du dessinateur Chappatte, «de 57 % de vieux mecs de droite, 14% de femme et 27% de divers.» Et puis il y a l’inconnue que représente Doris Leuthard comme conseillère fédérale.
Madame la Présidente a surtout révélé jusqu’ici ses talents de slalomeuse, à droite lorsque ça paie, à gauche quand ça ne mange pas de pain: plus ou moins contre la privatisation de Swisscom, quoique… plus ou moins pour la nouvelle loi sur l’asile, bien que… Le tout résumé par un slogan en forme de boutade: «Souple et libéral en semaine — modéré et social le dimanche».
Mais bon, l’affaire est entendue: Ruth Metzler ne reviendra pas. Si le parlement a bien voulu se tirer une balle dans le pied lors de l’élection de Christoph Blocher, il ne peut s’en prendre qu’à lui-même.
A propos de balle dans le pied et carrément à travers tout le corps, un autre débat s’ouvre, qui lui aussi promet de se fracasser contre ce même mur des us et des mentalités: la remise en question du fusil militaire et de ses munitions stockées à domicile par le citoyen-soldat.
Le drame des Crosets, comme chaque fois lors de semblables tragédies, a fait se lever la contestation contre cette coutume fédérale qui provoque l’incrédulité dans le reste du monde et avait pour but surtout de mettre en déroute plus rapidement les hordes soviétiques: l’arme toujours à portée de main contre le couteau toujours entre les dents.
Quelques parlementaires socialistes ont ainsi concocté une série de motions dont certaines vont jusqu’à suggérer que désormais, les armes des soldats et des officiers soient stockées dans des arsenaux.
Le parlement et le Conseil fédéral ont déjà, à plusieurs reprises, repoussé semblables propositions de pékins capitulards. Samuel Schmid, comme ses prédécesseurs, est contre, surtout que l’armée prépare une demi-mesure: on pourra continuer à garder son arme chez soi, mais pas les munitions.
Tant pis pour les 180 meurtres ou suicides commis chaque année en Suisse et pour lesquels l’armée suisse a offert gracieusement l’arme du crime.
Les partisans de l’arme à la maison invoquent la liberté individuelle et la responsabilité. Il est bien évident que le soldat suisse est le plus responsable du monde et le seul donc à mériter ce droit du flingue à domicile.
Libre et responsable comme l’était cet exemplaire jeune major saint-gallois, cadre bancaire à la carrière fulgurante et au profil de gendre idéal: à Gerold Stadler, le mari et meurtrier de Corinne Rey-Bellet, on aurait confié, les Val-d’Illiens l’ont dit, non seulement le bon dieu, mais tout un arsenal sans confession ni hésitation.
Comme rêverie estivale, devant le rosé qui vient, on pourra toujours imaginer un nouveau ministre de la défense qui empoignerait le problème par la culasse. Pourquoi pas Ruth, pardon Doris Leuthard, dont on dit déjà qu’en cas d’élection elle pourrait reprendre le département de Samy-la-gachette qui s’en irait lui à l’économie?
Sauf que, l’automne revenu, il faudra sans doute se résigner: la Suisse restera le seul pays au monde où il est impossible de devenir ministre deux fois mais possible de dormir avec un attirail de GI sous l’oreiller.