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L’étrange survivance des maoïstes

Il y a déjà quelques lustres que le Népal n’est plus à la mode et que les jeunes Occidentaux en rupture de ban (ou de famille) cessent d’en faire l’étape obligée de leur initiation aux mystères de l’Orient. La guerre civile déclenchée par les maoïstes en automne 1995 n’a rien arrangé. La répression qui s’ensuivit non plus.

Mais les choses sont peut-être en train de s’arranger, quoiqu’il faille prendre les dernières nouvelles avec de longues pincettes. En effet, les rebelles maoïstes népalais viennent, le 3 mai 2006, de répondre favorablement à la trêve proposée par le nouveau gouvernement de Katmandou et se disent disposés à participer à des pourparlers pour mettre fin aux violences qui ont tout de même fait 13’000 morts depuis dix ans.

Dans un communiqué, leur chef Prachanda voit dans la trêve illimitée décrétée par le gouvernement de Girija Prasad Koirala «une initiative positive» susceptible de répondre «aux aspirations du peuple à la démocratie, à la paix et au progrès».

La semaine dernière, ce même Prachanda avait décrété un cessez-le-feu unilatéral de trois mois. Il demande la réunion d’une assemblée chargée de rédiger une nouvelle Constitution et de décider de l’avenir de la monarchie.

Pour bien montrer que le roi a perdu la partie, le nouveau gouvernement a par ailleurs annulé des élections municipales tenues en février par le gouvernement royaliste ainsi que des nominations de hauts fonctionnaires.

Vue d’Europe, l’actualité politique népalaise a quelque chose de surréaliste. La guérilla maoïste qui mène la lutte armée contre la monarchie est l’organisation de pointe faisant référence au Mouvement révolutionnaire internationaliste (MRI) qui regroupe une dizaine d’organisations marxistes-léninistes-maoïstes dispensant encore leur bonne parole du Pérou au Népal en passant par quelques chapelles européennes. Dans la bouche du président Prachanda, leader du Parti communiste népalais-maoïste (PCN-M), dénonçant en 2003 l’échec d’une précédente trêve, cela donne ceci :

«Le coup réactionnaire monté par l’assassin féodal et médiéval Gyanendra Shah sous la direction et avec l’appui de l’impérialisme américain et des forces expansionnistes indiennes, n’est en réalité que le reflet du stade ultime de désespoir qu’il a atteint, et témoigne de l’avancée de la guerre du peuple et de sa glorieuse victoire.»

«Pour quiconque ayant étudié le processus de guerre de classe au Népal et l’avancée de la guerre populaire, cet incident n’a rien de surprenant et ne peut pas le tromper. L’Etat féodal qui a pour base l’alliance indigne entre le féodalisme et l’impérialisme, a commencé à s’isoler des masses. Elle est au bord de l’effondrement à cause de l’avancée de la Guerre Populaire, et, en s’engageant sur cette voie ouvertement réactionnaire et fasciste, elle a enfin de compte signé son propre arrêt de mort.»

«Ce coup réactionnaire, qui vient de remonter à la surface, est le résultat de l’abominable massacre programmé de la famille royale. Parce que notre Parti a depuis le début été capable d’en apprécier correctement les conséquences, les masses dans leur ensemble ne se sont bercées d’aucune illusion là-dessus, et elles nourrissent même une grande colère et une haine profonde à l’encontre de la clique des pro-Gyanendra.»

La citation est un peu longue, mais cette longueur dicte le rythme de la pensée et, probablement, pour mes lecteurs les plus âgés, les réminiscences de temps révolus: ils y trouveront la finesse d’analyse, la justesse théorique, la clairvoyance politique des Philippe Sollers, André Glucksmann et autre Bernard-Henri Lévy de la fin des années 1960, années fastes s’il en fut. La jeune génération peut quant à elle prendre la mesure de ce à quoi elle a échappé!

Mais je galèje, or on ne plaisante pas avec la politique, surtout lorsque l’on a affaire à des gens convaincus que le pouvoir est au bout du fusil. Quoique lointain et coincé entre les deux mastodontes planétaires que sont la Chine et l’Inde, le Népal pèse tout de même 24 millions d’habitants perchés sur les contreforts de l’Himalaya. Sa capitale, Katmandou, compte 1,5 million d’habitants. Rapporté à l’Europe, c’est équivalent à la Roumanie. Cela en fait, des paysans frustrés et mécontents!

De surcroît, les maoïstes népalais, s’ils n’ont plus guère l’oreille de Pékin, ne sont pas isolés du tout dans cette partie de l’Asie. Entre les montagnes et les bouches du Gange, la plupart des Etats fédérés indiens ont leurs maoïstes :

Agressifs comme dans le Chattisgarh (21 millions d’habitants) où la lutte armée dure depuis 30 ans et où l’on a découvert la semaine dernière les cadavres de treize personnes enlevées par des rebelles maoïstes présumés alors que 37 autres otages étaient libérés.

Offensifs comme dans le Bihar (80 millions d’habitants) où le 13 novembre 2005, un commando communiste a libéré 341 prisonniers politiques enfermés dans la prison de Jehamabad.

Démocrates comme au Bengale occidental (80 millions d’habitants, Calcutta la capitale: 12 millions) où les maoïstes sont au pouvoir depuis 30 ans et suivent aveuglément la ligne pékinoise. Il s’y déroule actuellement un processus électoral et leur mot d’ordre est simple: «L’heure est à l’industrialisation!»

C’est dire que même si Mao est enterré depuis longtemps, ses idées survivent allègrement. Et nous, pauvres Occidentaux inconscients, qui ne nous donnons des frissons qu’en pensant à Ben Laden et ses barbus!