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Reagan, la fin d’une vie parasitée par la littérature

Une biographie consacrée à l’acteur-président provoque des remous dans les médias américains. Son auteur, lauréat du Prix Pulitzer, aurait pris trop de liberté dans sa narration.

La figure de Ronald Reagan n’en finit pas de hanter les médias américains. Même malade, même mourant, enfermé à triple tour dans son obscurité d’Alzheimer, le vieux cowboy se retrouve à nouveau projeté sur l’écran des «hot news» en cette fin d’année 99.

C’est à lui que l’on pense quand le candidat George W. Bush Jr réveille la nostalgie d’une planète bipolaire. Le monde était tellement plus simple dans les années 80, quand Reagan était aux affaires… A l’époque, l’«empire du Mal» était géographiquement limité à la zone d’influence soviétique. Mais aujourd’hui? Aujourd’hui, des millions d’Américains désorientés associent le souvenir de Reagan au paradis de leur propre enfance. Le candidat qui saura les rassurer avec un discours reaganien partira favori dans la course à la Maison Blanche. Le fils par excellence, George W. Bush, le sait bien: il vient de trouver son programme politique.

On parle de Reagan mais Reagan ne parle pas. Il ne parle plus. Reclus dans sa clinique, sans micro ni mémoire, l’acteur-président n’a jamais paru aussi virtuel. Et pourtant, il occupe depuis quelques jours les premières pages des journaux. C’est la publication imminente de «Dutch, A Memoir Of Ronald Reagan» qui alimente ce regain d’intérêt médiatique. Personne ou presque ne l’a lue mais déjà, cette biographie officielle se transforme en affaire d’Etat. Son titre, «Dutch», fait référence au surnom qui accompagne Reagan depuis ses années de lycée.

Ce ne sont pas tant les révélations du livre qui font scandale (même si on y apprend que le jeune Reagan avait présenté sa candidature au Parti communiste en 1938), mais bien plutôt la technique de récit utilisée par l’auteur: Edmund Morris, écrivain reconnu, a pris des libertés avec le format biographique. Il s’est servi d’un narrateur imaginaire qui porte son propre nom pour relater l’histoire de l’acteur-président, comme s’il l’avait côtoyé depuis sa naissance.

C’est donc un personnage semi-fictif nommé Edmund Morris qui relate en observateur la vie de Reagan, son enfance déchirée entre un père alcoolique et une mère tyrannique, son adolescence de beau gosse, ses exploits sur les terrains de football américain, ses débuts à Hollywood et sa carrière politique jusqu’à son accession à la fonction suprême. Sans oublier le plus retentissant des scandales: selon Morris, le président n’aurait jamais imaginé que le financement de la Contra du Nicaragua avec l’argent des missile vendues à l’Iran puisse être contraire à la loi.

Morris affirme que toutes les informations concernant la vie de Reagan contenues dans son livre sont rigoureusement exactes. Mandaté en 1985 pour écrire l’histoire officielle d’un président alors en exercice, il a mené son enquête pendant quatorze ans. Il a interviewé l’entourage de Reagan, sa famille, ses proches et le président en personne. La seule liberté qu’il a prise, c’est ce statut de narrateur imaginaire. De son matériau biographique, il a extrait un ouvrage littéraire, et c’est cela qui déstabilise l’Amérique. Les journaux parlent d’une «biographie à la Forrest Gump».

Edmund Morris n’est pas le premier venu. En 1980, il avait obtenu le prix Pulitzer pour son livre consacré à la vie de Theodore Roosevelt, autre président américain et accessoirement inventeur du Teddy Bear.

En s’attaquant à la biographie de Reagan sans renier sa liberté d’écrivain, Morris a peut-être trouvé la manière la plus appropriée de raconter ce personnage au sourire commercial qui s’est toujours vendu comme un héros de fiction.

Il faudra lire le livre pour s’en assurer. «Dutch, A Memoir Of Ronald Reagan» sera jeudi dans les librairies.