LATITUDES

Vous reprendrez bien deux étages de plus?

Comment répondre à la pénurie de logements? Plutôt que de transformer des champs en quartiers de villas, on parle de rehausser les villes.

Face à la pénurie de logements, deux écoles s’affrontent: densifier le centre ville ou étendre le bâti sur les zones vertes de l’agglomération. Les professionnels de l’immobilier penchent pour la première solution. Mais elle suscite l’ire des défenseurs du patrimoine.

La crise du logement n’en finit pas de jouer les prolongations. A Genève, le taux de vacances stagne en dessous de 0,2% depuis plusieurs années alors que la ville continue d’accueillir quelque 5’000 nouveaux résidents chaque année. Les besoins en logement sont estimés à 32’000 pour les vingt prochaines années.

Chez le voisin vaudois, la situation est à peine moins dramatique. Le plan général d’affectation (PGA) lausannois, adopté en novembre dernier, met l’accent sur la nécessité de créer quelque 3000 nouveaux logements d’ici à 2016.

Pour résoudre la pénurie, deux solutions: grignoter les espaces verts en périphérie de la ville ou densifier le centre-ville. Les professionnels de l’immobilier penchent plutôt pour la seconde option. Il s’agit de «repenser la cité de l’intérieur sur sa propre substance, avec une certaine économie de moyens, (…) d’imaginer une ville en ville», souligne Inès Lamunière, membre du bureau d’urbanisme DeLaMa, qui a orchestré la redensification des bâtiments autour de la place de la gare à Genève.

Concrétisation de cette vision poétique, le Grand conseil genevois vient de voter une loi autorisant de surélever de deux étages les bâtiments situés en zone urbaine. «Les immeubles pourront désormais atteindre entre 24 et 30 mètres de haut, contre 21 à 27 précédemment, ce qui permettra de loger plus de monde sans utiliser plus d’espace», explique Christophe Aumeunier, secrétaire général de la Chambre immobilière genevoise.

Mais déjà les organisations de protection et du patrimoine, souvent associées à l’Asloca et à la gauche, prévoient de lancer un référendum contre la nouvelle législation, indique Marcellin Barthassat, président de la Société d’art publique (SAP), qui participe à la fronde contre le rehaussement des bâtiments au centre-ville.

Les projets des socialistes lausannois de déclassifier les zones industrielles de Malley ou Sébeillon pour y construire des logements suscitent eux aussi des résistances. «Les mentalités ne sont pas encore prêtes», estime Laurent Guidetti du cabinet Tribu’architecture, qui a été mandaté pour effectuer une étude sur le secteur de Malley. Il cite aussi les blocages dus aux intérêts particuliers: «Les résidents de Chailly et leurs trois avocats seraient les premiers à se mobiliser contre une densification du bâti sur leur commune».

Pourtant, pour ses partisans, la densification urbaine est la solution idéale pour répondre à la crise du logement et à ses effets pervers. «Actuellement, les contribuables aisés qui ne trouvent pas d’appartement en ville s’en vont vers les communes périphérique, le canton de Vaud ou la France voisine, privant Genève de ressources importantes», dit Christophe Aumeunier. Et ceux qui restent doivent s’acquitter d’un loyer exorbitant.

Pour Laurent Guidetti, les avantages de la densification du centre-ville concernent aussi l’environnement. «Il faut regrouper les gens dans les centres urbains pour éviter les parcours inutiles, le plus souvent effectués en voiture. Un travailleur Vaudois passe actuellement une heure et demie par jour en moyenne dans les transports.»

Financièrement, la solution s’avère avantageuse. «Il est plus rentable de surélever de deux étages un bâtiment que d’en construire un nouveau en périphérie de la ville», dit Christophe Aumeunier.

«Les expériences réussies de surélévation ne courent pas les rues», répondent les opposants de la densification. Ils craignent notamment que de vieux immeubles, non classés, ne soient sacrifiés, notamment dans «l’anneau fazyste» genevois (quartiers de la Jonction, des Eaux-Vives et des Pâquis).

«Genève est déjà une ville très haute, très dense, dit Marcellin Barthassat. Il faut s’attendre à davantage d’ombres portées et à un assombrissement des logements situés dans les premiers étages si l’on rehausse les immeubles.»

Le président de la Société d’art public invoque aussi les combles confisqués sans compensation, les places de parc insuffisantes et les écoles de quartier surchargées en cas de densification du centre-ville. Il estime que le plan directeur cantonal, qui prévoit la création de 9500 nouveaux logements dans la couronne suburbaine et dans certaines zones villas ou agricoles de l’agglomération genevoise suffit amplement.

A Lausanne, c’est avec des arguments semblables que les habitants du quartier du Mont-d’Or et de la Violette se sont mobilisés contre la destruction d’une série de villas et leur remplacement par des immeubles plus denses.

«Nous ne voulons pas surélever toute la ville», rétorque Christophe Aumeunier, de la Chambre immobilière genevoise. Seuls sont visés «les immeubles en béton datant des années 50 et 60, sans charme particulier».

L’ajout d’étages sur de vieux bâtiments s’avèrerait d’ailleurs bien trop compliqué et coûteux à réaliser. Quant à la perte de luminosité, il fait remarquer que «la loi prévoit une distance minimale entre les bâtiments que l’on souhaite surélever».

Reste donc l’argument du manque de places de parking en ville. A ce propos, Bruno Marchand, membre du bureau d’urbanisme DeLaMa, note que «les expériences de densification menées depuis une dizaine d’années en Allemagne ou en Scandinavie ont démontré que les personnes vivant au centre-ville sont justement celles qui ne se déplacent pas en voiture», les transports publics étant facilement accessibles. Pour les résidents ne pouvant se passer de leur voiture, il imagine «un système de stockage des véhicules en périphérie des quartiers».

Dans un souci de conciliation, Laurent Guidetti de Tribu’architecture relève que le rehaussement des bâtiments doit être une solution de dernier recours. Il faut d’abord s’attaquer aux multiples «non-lieux», espaces peu ou mal utilisés, qui existent en ville, si l’on veut densifier le tissu urbain.

Il cite l’exemple du quartier lausannois du Vallon, qui se situe sur le trajet du nouveau métro M2. «Nous avons calculé que 1000 logements pourraient y être bâtis après le démontage de l’ancienne usine d’incinération. Mais quoi que l’on fasse, il faut toujours veiller à ne pas dépasser le seuil critique de densité de la population en ville.»

C’est déjà le cas dans certains quartiers du centre-ville, comme celui de la Cité à Lausanne, doté d’une structure moyenâgeuse. Le coefficient d’occupation du sol (surface bâtie/surface de la parcelle) y atteint 0,96, contre 0,5 idéalement. A titre de comparaison, il est actuellement de 3,5 environ à Paris et Tokyo prévoit de le faire passer à 13. Heureusement, les cités romandes échappent encore à ce type d’excès.