Ils ont été récompensés pour leur esprit d’innovation. Portraits de jeunes entrepreneurs suisses qui ne se contentent pas d’imaginer le monde de demain: ils le construisent.
Cet article en deux volets présente quelques entreprises suisses parmi les plus innovantes. La première partie de l’article est publiée ici.
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TouchMind, le tchat d’entreprise
Humaniser les relations sur le web. C’est le but de la société informatique TouchMind d’Yverdon, qui a inventé un système de messagerie instantanée permettant aux entreprises de répondre en direct aux questions de leurs clients.
«Aujourd’hui, la rapidité de réponse sur le net est cruciale, explique le directeur Martin Demierre, âgé de 35 ans. Si un client n’obtient pas une réponse rapidement, il ira voir ailleurs.»
L’outil mis au point par TouchMind permet d’augmenter les ventes, mais aussi de fidéliser la clientèle et d’économiser des ressources: alors qu’un appel entrant coûte jusqu’à 15 francs en temps de travail, l’e-mail revient à 5 francs et la même communication s’élève seulement à 2 francs pour le tchat. Cette rentabilité s’explique par le fait que l’opérateur peut dialoguer avec 4 ou 5 personnes simultanément.
Le système, qui porte le nom de Client Fidelity, permet d’analyser les caractéristiques de la clientèle. Ainsi, il est possible de connaître le pays d’origine du client, la page depuis laquelle il communique, comment il y est arrivé et combien de fois il a visité le site de l’entreprise. Toutes ces informations permettent d’estimer le potentiel d’achat de chaque visiteur.
Le développement du produit a nécessité le travail de six personnes à plein temps durant deux années. «Toutes nos économies y ont passé, dit Martin Demierre. C’est seulement lorsque le produit a été opérationnel que nous avons pu obtenir des soutiens financiers. Aujourd’hui, plus personne n’investit sur la base d’une simple idée!»
En 2005, TouchMind, qui occupe aujourd’hui huit personnes, a remporté le Start-Up Prize, décerné par le Y-Park d’Yverdon. En plus des 150 000 francs d’aide financière, l’entreprise a aussi obtenu le coaching de Genilem et d’un consultant de la Confédération, afin de l’aider à améliorer sa stratégie.
«Le soutien étatique à l’innovation est très développé en Suisse, dit Martin Demierre. Par contre, les banques et les assurances ne font pas beaucoup d’efforts pour financer les start-up.» Fondée en décembre 2002, la société, qui a été dans un premier temps implantée au Parc scientifique de l’EPFL, prévoit un chiffre d’affaires pour 2005 d’environ 800 000 francs.
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Geomag, le jeu magnétique
Chine, Australie et Etats-Unis sont quelques-uns des pays où l’on trouve le jeu de construction helvétique Geomag. Produits au Tessin, ces assemblages de barres et de billes tenus ensemble par la force d’un champ magnétique ont connu un succès surprenant, trois ans à peine après la création de la société Geomag, à Chiasso. «Avec les barres vendues entre 2003 et 2005, on pourrait couvrir la distance entre Dublin et New York», affirme la société. «Nous avons créé un nouveau segment dans le marché des jouets de construction», explique Grazia Baldino, responsable de communication.
Recette de cette réussite exportée dans 23 pays: «Nous avons très vite fait appel aux meilleurs distributeurs sur chaque marché, comme Joker pour l’Allemagne et l’Autriche, et avons mis sur pied une stratégie commerciale agressive.» L’aspect novateur du jouet a aussi joué en faveur de Geomag. Il s’agit du seul produit à pouvoir garantir le maintien d’un circuit magnétique entre les pièces, assurance d’une construction solide. La méthode a été brevetée, mais les imitations se sont multipliées, notamment en Extrême-Orient. «Même dans ces pays, les acheteurs continuent à préférer les produits de Geomag», dit Grazia Baldino. Ceux-ci sont pourtant vendus aux prix occidentaux afin d’assurer que la production soit maintenue en Suisse.»
Les applications du jeu sont multiples: jouet, objet décoratif, outil éducatif ou encore aide thérapeutique. «Nous avons testé les pièces de Geomag sur des patients atteints d’autisme ou du syndrome de Down. Le fait de manipuler les barrettes et les billes magnétiques permet aussi de récupérer une habileté manuelle après un accident ou en cas d’arthrose», souligne Grazia Baldino.
La société tessinoise, qui a reçu le Prix 2005 pour le meilleur jeu de construction, n’a pas l’intention de quitter la Suisse, malgré les coûts de production élevés de ses deux usines de Rancate et de Novazzano. «Le fait d’être en Suisse ne facilite pas les exportations, en raison des droits de douane, mais cela nous procure une valeur ajoutée importante dans le domaine du marketing.» Le label made in Switzerland fait en effet vendre loin à la ronde. «Nous bénéficions d’une image de créativité à l’italienne, associée à celle de la précision helvétique.» Et les parents apprécient d’offrir à leurs enfants un produit sûr, conforme aux normes de qualité suisses, relève Grazia Baldino.
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Watalys, des eaux purifiées
Afin de lutter contre les maladies liées à l’absorption d’eau contaminée, l’ONG Antenna Technologies, basée à Genève, a élaboré un système simple et efficace: le Watalys. Placé dans un litre d’eau salée, cet appareil gros comme deux paquets de cigarettes produit par électrolyse une solution chlorée, qui peut ensuite servir à désinfecter des surfaces ou à rendre de l’eau potable. Le concentré ainsi élaboré peut assainir jusqu’à 4000 litres d’eau impropre.
Isabelle Genoud, 33 ans, ancienne responsable de projet au sein de l’association genevoise, décide de présenter son projet en 2005 auprès de la Fondation de Vigier, qui récompense chaque année de jeunes entreprises suisses aux idées novatrices. Remportant le concours, elle obtient un prix d’encouragement de 100000 francs. «Cette aide financière a été déterminante pour démarrer», dit-elle. En 2006, elle décide avec deux associés de fonder sa propre entreprise, Bulane, afin de commercialiser le produit. Elle occupe actuellement trois personnes.
Isabelle Genoud considère que la Suisse dispose d’atouts de taille sur la scène internationale dans le domaine de l’innovation. «Il y a dans notre pays une grande concentration de savoirs différents, notamment grâce aux écoles polytechniques, dit-elle. Quelques entreprises et fondations privées financent la recherche. De plus, la proximité géographique et la concentration de la population dans certaines villes favorisent le réseautage, qui est un élément-clé dans les affaires.»
La cible de la société se compose d’institutions internationales telles que le HCR ou le CICR. Ces organisations sont susceptibles de distribuer le Watalys dans les régions du tiers-monde, où près d’un milliard de personnes vivent sans accès à une source d’eau potable.
Diverses ONG ont testé le produit sur le terrain, avec à la clé des résultats probants: au Congo, dont une partie de la population boit directement l’eau des lacs et des rivières, aucun cas de choléra n’a été relevé auprès des habitants qui ont utilisé le dispositif. L’appareil permet d’éliminer les germes courants contenus dans l’eau sale, provoquant notamment diarrhées, fièvre typhoïde ou malaria.
Dans le futur, Isabelle Genoud souhaite améliorer le Watalys en facilitant son usage et en baissant son prix. Elle prévoit en outre d’établir un système de franchise, afin que les autochtones s’occupent eux-mêmes de la commercialisation du produit. «Nous souhaitons pratiquer un commerce équitable favorisant l’autonomie et l’esprit d’entreprise des populations locales», souligne-t-elle. Le développement de nouveaux produits, toujours liés à l’eau, est également prévu.
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CBL, le mix numérique
La start-up CBL-Electronics, basée dans le canton de Zoug, propose un matériel innovant pour les amateurs de musique: table de mixage format MP3, d’un poids de 2 kilos, pouvant être connectée à un PC ou à un laptop à l’aide d’une prise USB, sans l’ajout de carte-son. Plus besoin de souris ou des touches du clavier pour mixer ses morceaux préférés. Ce matériel peut en outre facilement être transporté par un DJ lors de ses déplacements.
CBL a commencé à développer son système en 2003 et l’a lancé début 2005. Moins d’un an plus tard, la société obtient le CTI Certification Label, de l’agence suisse pour la promotion de l’innovation. Son fondateur, Michael Anklin, 31 ans, a suivi un parcours original: après son apprentissage d’électricien, il étudie l’informatique. En parallèle, il est pilote de ligne à temps partiel et DJ. Encouragé par l’un de ses professeurs, il fonde son entreprise, avec l’appui de ses camarades de classe.
Son système de mixage s’achète 849 francs online; un peu moins chez l’un des leaders suisse du marché de l’électronique. «Nous avons vendu environ 420 pièces l’année dernière, explique Indro Celia, directeur marketing. Sur le marché, nous sommes très peu à faire à la fois du software et du hardware. Notre seul concurrent direct est Alcatech, en Allemagne.» L’entreprise, qui emploie cinq personnes, exporte son produit en Pologne, en Angleterre, en Allemagne, en France, en Espagne et en Autriche. Et recherche des investisseurs pour ses développements futurs.
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Portraits réalisés par William Türler et Julie Zaugg. Une version de cet article a été publiée dans L’Hebdo du 2 mars 2006.
