De Santiago à La Paz, c’est une gauche pragmatique qui prend le pouvoir sous le regard impuissant de l’administration Bush. Analyse.
Les Etats-Unis, tout à leur fureur antimusulmane, laisseront-ils leur pré carré américain se faire ravager par les vieilles taupes de la gauche latino? C’est ce que semblent indiquer les nouvelles venues de Santiago dimanche dernier et celles à venir de La Paz ce week-end.
L’élection de Michelle Bachelet à la présidence du Chili, sans marquer un tournant à gauche (la dame a modéré depuis longtemps sa fougue juvénile trotskisante), n’en est pas moins un échec cinglant pour la droite qui ne parvient toujours pas à recréer les conditions d’une alternance.
En Bolivie, par contre, l’intronisation ce dimanche à la présidence du pays d’Evo Morales, leader des cocaleros, représente une baffe sonore et humiliante pour George W. Bush. Morales est non seulement copain avec Castro et Chavez, les bêtes noires de Washington, mais il se proclame aussi partisan d’une économie basée sur les nationalisations, sur le refus du libre-échange, notamment d’une adhésion à l’ALENA, l’association américaine de libre-échange pilotée par les Etats-Unis. De plus, il ne veut pas entendre parler d’une présence militaire yankee chez lui, même pour lutter contre le narcotrafic.
Ces succès de la gauche latino ne sont pas des cas isolés. Ils arrivent après les succès répétés du démocrate patenté (surtout par la stupidité de ses adversaires) Hugo Chavez dans des élections à répétition dont la dernière, début décembre, a vu le parlement passer en totalité sous le contrôle de députés chavistes suite au boycott de l’opposition.
Auparavant, on avait déjà assisté à l’accession à la tête du géant brésilien du fameux Lula, l’ouvrier reconverti en chef d’Etat. Et en octobre 2005, le péronisme new look de Nestor Kirchner, remportait un succès éclatant en Argentine. Un Kirchner qui joue lui aussi la carte Chavez pour développer son «sud-américanisme» contre Washington.
Il y a dans ces événements tous les ingrédients suffisant à marquer la décennie en cours du signe de la gauche. Une décennie de gauche qui succède au néo-libéralisme des années 1990, aux social-démocraties des années 80, aux golpistes des années 70, à la gauche des années 1960.
Mais la gauche d’aujourd’hui est très différente de celle d’il y a 50 ans. Elle laisse de côté les idéologies pour donner dans un pragmatisme que chacun espère efficace. Bachelet pour tenir les militaires dans les casernes. Morales le gaz dans les maisons et la coca sur le marché. Chavez le pétrole dans les caisses de l’Etat, Lula les pauvres dans leurs bidon-villes. Il s’agit en somme d’une gauche éclatée, d’une gauche du chacun pour soi, d’une gauche nationaliste.
Puisque je faisais allusion il y a un instant à la gauche des années 1960, on constate que le trait d’union, à un demi-siècle de distance, est dans le «small is beautiful». C’est dire combien, au-delà de la fougue oratoire des Morales, Chavez et autres Kirchner, la réalité latino-américaine d’aujourd’hui, n’a rien à voir avec les incantations d’hier.
Ce prosaïsme, toutefois, n’est pas sans panache. Notamment par l’affaiblissement considérable qu’il porte aux positions impérialistes américaines. Comme la vague des élections va se poursuivre en 2006 et qu’un Etat aussi crucial que le Mexique pourrait connaître en juillet prochain un changement historique grâce à la victoire de la gauche conduite par Andres Manuel Lopez Obrador, candidat du Parti de la révolution démocratique (PRD), depuis des mois en tête des sondages, il sera intéressant de suivre les réactions de W. Bush qui va lui subir le test des élections intermédiaires en novembre.
