Si l’on en croit la recension de son livre dans Libération, la stratégiste Thérèse Delpech nous annonce un XXIe siècle difficile à vivre, au moins aussi sauvage que celui que nous venons de quitter.
Ce qui n’est pas peu dire. On sait que les prophéties, surtout celles de gens qui font profession de scruter l’avenir, n’engagent que ceux qui y croient. Mais à voir l’ingouvernabilité qui nous gouverne, nous pouvons en toute légitimité nous poser quelques questions.
Le fait est que la disparition du binôme conflictuel Etats-Unis / Union soviétique, en repoussant l’essentiel des forces politiques au centre, a fait beaucoup plus que rompre les rites de l’alternance, exutoires commodes aux mauvaises humeurs des citoyens.
Le procès des gauches socialo-communistes (comme on disait naguère) est tellement rabâché depuis quelques lustres que le simple fait de recourir à des concepts comme économie planifiée, justice sociale, défense des droits de l’homme vous donne l’impression de retourner au moyen âge, d’enfiler une cote de mailles et d’abaisser la visière du heaume.
La droite est donc à la mode, elle seule connaît les recettes qui font le succès, celles qui vous permettent de gérer votre vie, votre plan de carrière et votre portefeuille boursier dans un même élan tout en pédalant comme un dératé sur le vélo mécanique à tableau de bord électronique de votre fitness préféré.
La droite est plus qu’à la mode, elle a le vent en poupe et, à l’exception de l’accident de parcours espagnol, aligne les victoires électorales les unes sur les autres. Mais ces victoires, loin d’être acquises sur la base de programmes constructifs, reposent le plus souvent sur des campagnes hypermédiatisées, mensongères et populistes du genre de celle qui a porté Berlusconi au pouvoir.
Or après quatre ans et demi de dérive berlusconienne, l’Italie est économiquement à genou, politiquement rétractée et moralement en crise.
Or l’Italie est un cas extrême, à la mesure du condottiere qui a su s’emparer des leviers de commande tout en se donnant une confortable majorité parlementaire. C’est en avril, aux prochaines élections, que les choses vont se gâter et l’instabilité pointer le bout du nez.
La nouveauté automnale, celle qui préfigure de douloureuses crises, tient à ce que les majorités parlementaires sont de moins en moins une garantie de gouvernance paisible. On le constate ces jours-ci en France où les archéogaullistes chiraquiens tirent à boulets rouges sur les néoconservateurs sarkozystes. On le voit surtout en Pologne où la droite, raflant prestement et massivement la mise électorale, se retrouve en échec sur un clivage assez semblable à celui qui divise la droite française.
Mais l’absence de majorité claire ne vaut pas mieux comme le prouvent les incroyables difficultés rencontrées par Angela Merkel pour forcer la porte de la chancellerie à la tête de sa grande coalition.
Péripéties électorales? Sautes d’humeur passagères de politiciens trop sûrs de leurs victoires? Je ne le pense pas. Le mal est plus profond. Nos démocraties sont affaiblies par le culte rendu à un libéralisme échevelé et incontrôlable. Les gauches n’ont de cesse, faute de mieux, de tenter de raviver le souvenir d’un passé mythique de paix et de prospérité. Les droites courent après des chimères mondialisées à rentabilité immédiate sans se soucier véritablement de regarder ne serait-ce qu’à moyen terme.
De plus en plus indifférente aux jeux de ces forces, la masse des citoyens rame pour gagner son pain quotidien. Et quand elle n’en peut plus, amorce un semblant de révolte vite réprimé par des appareils de sécurité hypertrophiés et omniprésents. Jusqu’à quand? Cela les nombreux «think tanks» qui scrutent notre avenir se gardent de l’étudier.