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Romano Prodi, la gauche italienne et Dieu

Dimanche dernier, quatre millions d’Italiens ont accepté de payer un euro pour participer à une élection privée. Mais cette mobilisation massive de la gauche ne préfigure en rien une victoire en avril.

L’Italie est connue en Europe comme le pays où il n’est pas rare que les citoyens descendent par dizaines ou centaines de milliers dans la rue pour défendre un projet politique, un acquis social ou, tout simplement, une position morale. Des manifs regroupant un million de personnes sont choses courantes. Pas banales, mais courantes.

N’empêche. Ce qui s’est passé le dimanche 16 octobre est tout à fait étonnant. La gauche, malmenée et insultée depuis quatre ans par Silvio Berlusconi, le chef du gouvernement, a décidé d’organiser, de façon privée, des élections primaires en son sein pour choisir le candidat qu’elle opposera à Sua Emittenza Berlusconi le printemps prochain.

A vrai dire, l’opération visait moins à choisir le candidat — tant le nom de Romano Prodi s’impose depuis qu’il a quitté Bruxelles — qu’à mesurer le soutien dont il jouit dans l’électorat. Quelque 70’000 militants se portèrent volontaires pour organiser un peu moins de 10’000 bureaux de vote dans tout le pays.

Les votants avaient le choix entre Prodi, candidat centriste soutenu par les bataillons réunis de la gauche catholique et des démocrates de gauche, le néo-communiste Bertinotti et quelques personnalité marginales comme le juge Di Pietro ou une altermondialiste. Les votants devaient de surcroît s’acquitter d’une obole d’un euro pour participer aux frais. Les organisateurs espéraient la participation d’un demi-million d’électeurs. Il en vint huit fois plus!

Pendant toute la journée du dimanche, les Italiens assistèrent stupéfaits au déploiement d’interminables files d’attente devant les bureaux de vote improvisés. Plus de 4 millions d’hommes et de femmes se déplacèrent et payèrent pour manifester leur volonté (à 75%) de voir Prodi prendre la place de Berlusconi. Qu’ils le fassent ainsi, de manière en quelque sorte symbolique, en dit long sur le ras-le-bol suscité par la désastreuse gestion berlusconienne du pouvoir.

Cela ne signifie pas pour autant que la gauche vaincra le 9 avril 2006, date retenue pour les élections. Et ce, même si les sondages lui donnent une forte avance sur la droite. En effet, consciente d’aller droit dans le mur, la coalition de droite vient de faire voter une nouvelle loi électorale dont les articulets conçus sur mesure pour pallier sa faiblesse devraient lui donner une majorité de parlementaires pour une minorité de suffrages. Ce n’est pas Byzance, c’est Rome, l’original!

Exposé crûment, le plan de Berlusconi est d’une grande limpidité: il lui faut à tout prix conserver la majorité parlementaire en avril pour ensuite, en juin, se faire élire à la présidence de la République, le mandat de Ciampi arrivant à échéance. L’accession à la présidence le mettrait à l’abri de toute poursuite judiciaire pendant sept ans, ce qui l’amènerait à l’âge respectable de 77 ans.

Au-delà des péripéties peu ragoûtantes de la carrière de Berlusconi, le vote de dimanche dernier attire l’attention sur une mutation en profondeur de la société italienne. La mobilisation massive de la gauche s’est faite en faveur d’une personnalité démocrate-chrétienne jusqu’aux bout des ongles. «Il Foglio», quotidien de la droite berlusconienne, va même jusqu’à le qualifier de curé. C’est dire que des célèbres duettistes Peppone et Don Camillio, Peppone s’est volatilisé et que Don Camillo est resté seul face à un nouvel adversaire, Ali-Baba et les Quarante voleurs.

Glissant irrésistiblement à droite, l’Italie renoue avec les valeurs religieuses fort bien représentées par Prodi. Une personnalité comme Piero Fassino, patron des Démocrates de gauche, ne craignait pas de reconnaître récemment qu’il avait été éduqué chez les Jésuites et qu’en d’autres temps ses fonctions de dirigeant communiste ne l’avaient jamais empêché de se rendre à la messe avec discrétion mais régularité.

Ce genre d’aveu en dit plus sur le trouble d’une époque que bien des proclamations politiques. Dans le doute et l’embarras, faute d’une morale ou d’une idéologie structurées et alternatives, les politiciens préfèrent se rabattre sur des valeurs sûres, même si leur obsolescence est indiscutable. En science politique, ce comportement a un nom, c’est la réaction.