Près d’une Suissesse sur quatre ne fait pas d’enfant. Longtemps stigmatisée, la non-maternité est aujourd’hui considérée comme un choix parfaitement acceptable. Témoignages de femmes — et d’hommes — qui préfèrent ne pas procréer.
Il y a quelques années, Adriana Karembeu disait vouloir trois enfants. Aujourd’hui, elle confie à Paris Match qu’elle craint «ne pas être à la hauteur», répéter les mêmes erreurs que ses parents qui «ne connaissaient que les punitions».
Par avance, elle est jalouse de l’amour que son mari pourrait porter à l’enfant potentiel. «Si nous avons un enfant, je sais que toute l’attention sera concentrée sur lui.» Alors un enfant? Non merci!
Son cas n’est pas isolé. Dans toute l’Europe, les taux de fécondité sont en chute libre, au point que le «péril vieux» menace nos retraites et les générations futures: les pays de l’Est flirtent avec les 1,3 enfant, voire 1,2 par femme; l’Allemagne s’inquiète avec un tout petit 1,34; l’Italie se découvre un angoissant 1,25 enfant par femme.
La Suisse se rassure comme elle peut avec un taux de 1,4 en train de chuter inexorablement… Elle occupe même la première place en matière d’infécondité, avec un taux de femmes sans enfant approchant les 25%.
Nous avons recueilli les témoignages de quelques unes d’entre elles — et quelques uns d’entre eux.
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Andréa Isenegger, 41 ans, spécialiste en santé publique et internationale, coordinatrice de Pharmaciens sans Frontières Suisse:
«A 20 ans, avoir des enfants me paraissait être une responsabilité énorme et le sujet n’était simplement pas abordé avec mon copain. Par la suite, fonder une famille ne m’a jamais semblé prioritaire. Mon travail me rend très heureuse. J’assume des responsabilités différentes de celles d’une mère. Fonder une famille ne me manque pas. Je l’aurais ressenti comme un obstacle à ma liberté; je n’ai pas de regrets. Peu de femmes qui travaillent dans l’humanitaire arrivent à concilier la maternité et l’activité professionnelle. Les pères sont plus nombreux à partir en mission; ils s’absentent trois mois et laissent leur famille à la maison pendant cette période. J’ai vu beaucoup de misère, d’enfants qui meurent et de maladies. Cela explique certainement aussi mon choix. En Afrique, ne pas avoir d’enfants semble bizarre. En Suisse, les gens comprennent et acceptent facilement, à cause de mon travail.»
«Il y a deux ans, je vivais une relation harmonieuse et la question s’est posée. Mais avec la même activité professionnelle, cela me semblait impossible. Mon compagnon, lui, désirait fonder une famille; nous nous sommes séparés.J’apprécie énormément le contact des enfants, j’en rencontre beaucoup. J’ai récemment accepté d’être la marraine du fils de ma soeur, ce qui est pris très au sérieux en Suisse alémanique. Cela signifie que je suis prête à m’occuper de mon filleul en cas de nécessité. Je ne partirai donc plus pour de longues missions sur le terrain. C’est le maximum que j’envisage.»
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Michèle Gosse, 58 ans, enseignante en physiologie et travail corporel, formatrice en périnatalité, Neuchâtel:
«J’apprécie énormément les enfants et les bébés me passionnent… c’est mon métier! L’enfant est un être pas encore embrouillé comme le sont les adultes. Je suis sept fois marraine mais je n’ai jamais voulu avoir d’enfants. Mes filleuls et mon travail me comblent complètement; j’ai la sensation de vivre ainsi une autre forme de maternité. Je ne suis ni asexuée ni homosexuelle. A 20 ans, j’étais beaucoup plus militante et certainement plus pessimiste sur l’avenir du monde.»
«J’ai fêté l’arrivée de la ménopause. J’ai éprouvé le désir d’être enceinte, mais je n’ai jamais voulu avoir d’enfants. Un homme peut plus facilement se soustraire à cette question.Mon entourage professionnel, les patients que je rencontre sont toujours persuadés que je suis mère car je m’entends très bien avec les enfants. Mais, en général, les femmes qui ne sont pas mères effraient: on imagine tout de suite leur frustration, il y a un refoulement important de la part de la société. C’est paradoxal puisque les conditions économiques et sociales ne sont pas favorables à la procréation.»
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Natascha Guignard, 31 ans, enseignante et créatrice de bijoux, Genève:
«Avec une famille, je ne pourrais plus faire ce que j’aime. Je me sentirais frustrée de devoir seulement m’occuper d’eux. J’ai dû me battre pour faire certaines activités qui comptent aujourd’hui à mes yeux. Je me dis que c’est très difficile d’être une bonne mère, j’aurais peur de faire faux. C’est en partie ce qui explique que je ne veux pas d’enfant.»
«Avant, tous les enfants m’agaçaient, à cause des cris, des pleurs. Maintenant, j’apprécie ceux de mes proches. Je me suis toujours dit que je n’aurais pas d’enfants. Mais ces deux derniers mois, depuis que ma meilleure amie est enceinte de deux mois, j’y réfléchis. Avec la maturité, on se dit qu’on a le droit de changer d’avis et de se laisser des portes ouvertes. Les trois prochaines années, c’est en tout cas hors de question. Nous partons à l’étranger et je n’aimerais pas me retrouver dans la même situation que beaucoup de femmes d’expatriés: à la maison, à m’occuper des gosses toute la journée.»
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Basile Tarchini, compagnon de Natascha, 31 ans, chercheur en biologie, post-doctorant à l’Université de Genève:
«J’ai peu de contacts avec les enfants et lorsque j’en rencontre, je ne me sens pas vraiment à l’aise. Pour moi, la paternité n’est pas instinctive. Une famille réduirait mes choix de vie. J’aurais moins de latitudes professionnelles ou de loisirs. Je serais moins indépendant, je devrais réadapter mes horaires de travail. On dit des gens sans enfant qu’ils sont égoïstes, mais je ne vois pas pourquoi en avoir serait plus généreux. La procréation répond à un désir personnel, pour perpétuer un nom.On dit encore qu’un couple qui ne désire pas procréer manque d’entente. J’ai rencontré Natascha il y a dix ans, nous sommes très proches. Nous partageons une même vision. Je ne vois pas l’enfant comme l’aboutissement d’un couple. C’est une théorie réductrice.»
NB: Aujourd’hui, Basile et Natascha sont séparés.
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Iris, 41 ans, artiste peintre, Genève:
«Je n’ai jamais vraiment ressenti le désir de procréation. J’adore parler aux enfants, ou leur enseigner la peinture, mais l’idée d’en avoir, ou de devoir m’en occuper 24 heures sur 24, m’a toujours effrayée. Cela a influencé mes rapports avec les hommes. Je me suis mise en ménage avec mon premier compagnon à 25 ans, puis mariée un an après. Le fait qu’il voulait des enfants a été une des raisons centrales de notre divorce. Ce n’est pas un hasard si j’ai été ensuite attirée par des hommes beaucoup plus jeunes que moi, sans doute par volonté inconsciente de ne plus être confrontée à cette question. Je me sens vraiment artiste dans mon âme. Je me perçois moi-même comme un enfant, et non pas comme une mère potentielle.»
«Je ne regrette pas du tout d’avoir fait ce choix. Je considère au contraire que c’est un privilège. Vivre sans enfant m’a permis de me connaître profondément, de devenir une femme heureuse et épanouie. Autour de moi, je vois tant de gens qui courent partout, y compris chez les psychanalystes, pour tenter de se comprendre. Ce qui leur manque souvent, c’est de prendre le temps de s’écouter, ce qui est rarement possible avec des enfants. Je voudrais donc rassurer les femmes qui n’ont pas d’enfants et qui en souffrent. Ne pas avoir d’enfants peut être la chance de leur vie, et cela n’a rien d’égoïste. Heureusement, socialement, ce choix est de mieux en mieux accepté. Il arrive que les gens me trouvent bizarre. Ce sont souvent des pères ou des mères enfermés dans le modèle traditionnel qui me jugent. Depuis que j’ai passé 40 ans, je me sens complètement libérée de cette «pression sociale». Mon compagnon n’attend pas cela de moi et les gens qui me connaissent ont compris que c’était un choix, et pas un renoncement. Je me sens bien et heureuse.»
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Viram, 42 ans, employé CFF, Lausanne:
«Jusqu’à 30 ans, je rêvais de fonder une famille. Et puis j’ai eu des réticences d’ordre éthique:il y a déjà bien assez d’êtres humains sur cette planète. Ma vision de l’avenir est pessimiste: je sens intuitivement que l’humanité va à court terme vers une catastrophe majeure. Je ne souffre pas réellement de la pression sociale autour de la famille, mais ma situation a créé une distance avec certains amis: les pôles d’intérêts divergent, les disponibilités aussi. Au début, je trouvais agaçant de ne pas pouvoir avoir une discussion sans être tout le temps interrompu. Aujourd’hui, j’apprécie le contact des gosses.»
«Par ailleurs, je n’aurais pas envie de travailler comme un dingue juste pour subvenir aux besoins d’une famille. Je vois autour de moi des hommes qui, suite à un divorce, se retrouvent dans des situations financières extrêmement précaires: ils doivent se battre devant le juge pour voir leurs enfants, payer la moitié de leur salaire dans des pensions alimentaires…»
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Une version de cet article est parue dans le magazine L’Hebdo. Remerciements à Isabelle Falconnier et Pierre-André Stauffer.
