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Des entraves historiques à la libre circulation

Tout a été dit sur la nécessité de voter oui le 25 septembre prochain. Mais est-ce suffisant? Quand on parle de circulation de citoyens suisses, l’histoire incite à la méfiance.

Il aura suffi d’un sondage, ou plus exactement de l’interprétation donnée à un sondage, pour que la campagne sur la votation du 25 septembre redémarre. Avec juste cette touche d’inquiétude quant au résultat du vote qui laisse planer un tout petit suspense. Passera? Passera pas? Les paris sont ouverts.

A l’heure qu’il est, tout a été dit sur la nécessité de voter oui. Pour parachever la judicieuse construction des accords bilatéraux. Pour éviter la remise en question de l’ensemble des accords longuement négociés par nos diplomates. Pour ne pas isoler la Suisse du reste de l’Europe. Etc.

Mais l’histoire incite à la méfiance tant ses leçons sont contradictoires. A partir de 1848, l’espace suisse a connu — comme l’Union européenne aujourd’hui, mais «en petit», comme aurait dit Gilles — une longue période d’intégration économique de cantons très divers quant à leurs ressources, à leur culture, à leur démographie.

La libre circulation des personnes, non pas d’un canton à l’autre, mais d’une commune à l’autre, s’est heurtée à d’incroyables résistances locales, résistances faites de xénophobie de proximité, de défense des acquis économiques et sociaux, de peur de la nouveauté.

Les bourgeoisies rurales, mais aussi citadines, ont cherché par tous les moyens à se claquemurer dans leur pré carré pour éviter de devoir accueillir de nouveaux arrivants toujours susceptibles dans l’imaginaire collectif de tomber à la charge de la communauté. Ou de piquer le travail (si ce n’est la femme) d’un honnête travailleur du cru. Esprit de clocher et protection corporatiste de la profession sont deux constantes de l’histoire des peuples européens.

La défense des intérêts ouvriers suit d’ailleurs les mêmes travers: en Suisse romande, les idées socialistes ont été importées par des ouvriers qualifiés allemands organisés en syndicats allemands, notamment le Grütli (dont le nom ô combien symbolique est resté à un café lausannois qui leur servit jadis de local de réunion).

Mais pendant la seconde moitié du XIXe siècle, la faculté théorique donnée aux habitants des cantons pauvres (en général alpins et catholiques) d’aller s’installer dans les régions les plus prospères économiquement a moins été utilisée que l’émigration outre-mer, vers les colonies américaines notamment.

On ne peut pas, à la veille d’un scrutin tel que celui du 25 septembre, ignorer ces tendances lourdes de l’histoire. Et ce d’autant plus qu’elles laissent des traces que l’on a tendance à sous-estimer. Ainsi, cela fait à peine une trentaine d’années que l’entretien des indigents n’est plus à la charge de leur commune d’origine, même si la famille avait quitté ladite commune depuis un siècle ou deux!

Par ailleurs, quelle est la statistique qui nous donnera le nombre d’Helvètes contraints de vivre avec des domiciles fictifs pour échapper à telle ou telle contrainte bureaucratique?

Récemment encore, j’ai personnellement expérimenté pendant de longues années la nécessité (fiscale) stupide de ne pouvoir partager le même domicile officiel que ma femme parce qu’elle avait un statut de fonctionnaire vaudoise et moi de fonctionnaire genevois.

Or la liberté d’établissement date en Suisse de la Constitution de 1848! C’est dire que l’Etat et ses institutions savent se protéger contre ce qui pourrait les léser. Il n’en va pas différemment des accords bilatéraux avec l’Union européenne.

Cela dit, il est clair que le problème de fond est ailleurs. Ce qui est en cause le 25 septembre reste, envers et contre tout, un ancrage même minime, de la Suisse au mouvement européen. Un mouvement européen qui a pris des coups durs ces derniers temps, un mouvement qui est contesté chez ses fondateurs mêmes comme l’ont montré les votes français et hollandais.

L’électorat suisse est très conservateur et peu favorable à l’Europe. L’élection du tandem Blocher&Merz au Conseil fédéral a sanctionné cet état de fait. Le président radical Fulvio Pelli vient de donner un signal supplémentaire en demandant le retrait pur et simple de la demande d’adhésion.

On sent en profondeur, à droite et à gauche, une envie de superbe isolationnisme.