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Attaques judiciaires contre les vidéoclubs romands

«La procédure est engagée, je viens de déposer plainte contre plusieurs vidéoclubs romands.» L’avocat zurichois Adriano Viganò l’annonce en primeur à Largeur.com: il a été mandaté par la puissante Association suisse du vidéogramme (ASV), qui réunit l’ensemble des distributeurs de DVD, pour faire cesser le marché gris de la location de films en Suisse romande.

«Nous n’allons plus tolérer que quantité de vidéoclubs proposent à la location des films qui sont encore exploités en salle, voire pas encore sortis», renchérit d’un ton ferme Hans-Jörg Gutknecht, président de l’ASV.

Les exemples sont nombreux. Alors que «Sideways» d’Alexander Payne passait encore dans les salles romandes, le DVD du film trônait fièrement sur le rayon «nouveautés» de nombreux vidéoclubs. La romance sur piste entre Jennifer Lopez et Richard Gere, «Shall we dance», était quant à elle disponible à la location plusieurs mois avant que le film ne sorte dans les cinémas.

«Les vidéoclubs qui proposent de tels films se moquent de la loi, nous nous en rendons très bien compte, dit Parisma Vez, porte-parole de l’Association suisse de lutte contre la piraterie (SAFE), qui défend les intérêts hollywoodiens. Les exemples sont particulièrement nombreux en Suisse romande car les films zone 1 achetés aux Etats-Unis contiennent une version française, destinée originellement au marché canadien.»

Très courante, l’exploitation de DVD importés était restée légale en Suisse jusqu’au durcissement de la loi en 2003. Notre législation avait depuis lors suivi celle des autres pays européens, interdisant l’achat et la location de films importés dans tout le pays.

Suite au tollé – et à l’insoumission – des vidéoclubs romands, la législation s’est assouplie l’an dernier pour n’interdire aujourd’hui la vente ou la location «qu’à partir du moment où l’exercice du droit de représentation de l’auteur n’en est plus entravé». En clair, l’importation est donc redevenue légale, mais l’exploitation de DVD zone 1 n’est autorisée que lorsque le film n’est plus en salles dans la région du vidéoclub en question.

Cependant, la plupart des vidéoclubs, surtout à Genève et Lausanne, interprètent la nouvelle loi de manière souple, et continuent donc tranquillement de proposer à la location les films en zone 1 disponibles sur le marché américain, sans vérifier attentivement s’ils sont encore à l’affiche dans leur ville.

«Quand on nous le signale, on les retire du catalogue, dit simplement Antonio Hodgers, qui dirige DVDMania, à Genève. Mais pour moi, c’est un faux problème. La distribution de films est détenue par des monopoles qui ne supportent pas que nous puissions nous approvisionner ailleurs. Ce lobby met en avant la défense des droits d’auteur pour interdire l’importation parallèle, mais c’est absurde puisque nous payons les droits d’auteur sur les locations de zone 1!»

Antonio Hodgers, par ailleurs député écologiste au Grand Conseil genevois, estime que le manque à gagner pour les salles reste marginal: «L’industrie du cinéma n’a jamais pu démontrer que la location de zone 1 faisait baisser la fréquentation en salles. Cela n’a aucun impact, parce que tous les grands block-busters, comme «Le Seigneur des Anneaux», sortent en même temps dans le monde entier, aussi bien en salle qu’en DVD. Le problème de concurrence ne subsiste que pour de petits films, qui n’ont généralement pas bien marché en salles aux Etats-Unis. La location leur donne une seconde chance.»

Ce discours ne tient pas compte du fait que les vidéoclubs bénéficient indirectement des campagnes publicitaires qui accompagnent les nouveaux films, ainsi que des articles de presse. «Un tel film en zone 1 coûte plus cher à l’achat pour le vidéoclub, qui doit payer les frais de port et les taxes, mais il est aussi beaucoup plus rentable car il bénéficie d’un attrait très important, celui de la nouveauté», détaille l’avocat Adriano Viganò. Il y a un manque à gagner indéniable pour les salles de cinéma.» L’avocat annonce que deux premières plaintes seront déposées, et que les autres clubs seront attaqués un par un, «jusqu’à ce que cette pratique cesse».

Les sanctions pénales sont lourdes: jusqu’à 100’000 francs d’amende pour «infraction à la loi sur le droit d’auteur par métier». Et des réparations civiles qui consistent à rembourser les gains réalisés par la location ou la vente de ces DVD. Cette pratique spécifique à la Suisse romande vit donc probablement ses derniers jours. Les amateurs de films en avant-première qui ne craignent pas d’enfreindre la loi se tourneront vraisemblablement vers le net, où l’on peut facilement télécharger les films américains avant leur sortie en Europe. Avec une conséquence dramatique pour les droits d’auteur, qui ne seront, dans ce cas, jamais payés.