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La France est mûre pour une nouvelle crise révolutionnaire

Malgré son panache volontariste, Dominique de Villepin n’a aucune chance de sortir le pays de l’ornière, ni de redonner un peu de souffle à la construction européenne.

Même pas un ravalement de façade, tout juste un rafistolage. Malgré le panache volontariste de son chef, le nouveau gouvernement de Dominique de Villepin n’a aucune chance de sortir le pays de l’ornière, ni de redonner un peu de souffle à la construction européenne.

Si l’on se réfère à l’histoire de France, cela signifie que le pays est mûr pour une nouvelle crise révolutionnaire. En effet, depuis la prise de la Bastille, la France s’est fait une spécialité d’avancer par à-coups, de guerres en crises de régime, de révolutions en «événements».

Rien que pour le siècle dernier, les dates sont éloquentes : 1914, 1939, 1958, 1968… Leur fréquence aussi: une durée aussi longue que celle qui nous sépare du dernier accès de fièvre — 37 ans — est tout à fait exceptionnelle.

De surcroît, Mai 1968 ne donna pas lieu à un changement de régime: les gaullistes au pouvoir avant, le restèrent après, même s’ils perdirent le général de Gaulle suite à l’échec du référendum de 1969. Cela fait donc près de cinquante ans que l’Etat français n’a pas remis ses compteurs à zéro. Pour un pays qui, contrairement à la Grande-Bretagne par exemple, n’est pas capable d’évoluer par transformisme, en s’adaptant pragmatiquement aux situations nouvelles, cela fait beaucoup.

La dernière refondation française remonte à 1958, au retour au pouvoir du général de Gaulle dans des conditions frisant le coup d’Etat, sur fond de guerres coloniales (Indochine, Algérie) remettant en cause la position de la France dans le monde. Le traité de Rome, acte fondateur de l’Union européenne, était signé depuis une année.

De Gaulle, après avoir torpillé quatre ans plus tôt le projet d’armée européenne (CED) eut la sagesse de s’accommoder du Marché commun qui permit à ses trois principaux partenaires (France, Allemagne, Italie) de renouveler de fond en comble leur machinerie économique.

A l’arrivée de de Gaulle, la France était encore un pays rural vivant de sa rente coloniale et n’avait, pour donner quelques exemples, ni autoroutes, ni téléphones, ni liaisons ferroviaires décentes. Pour aller de Lausanne à Paris, il fallait prendre le train de nuit à 23 heures pour arriver à 7 heures du matin!

Jouissant de la connivence non avouée du Parti communiste alors dominant dans les usines et les syndicats, c’est de Gaulle qui parvint à imposer ce modèle hybride de capitalisme à la française où l’Etat reste tout puissant et où les cadres supérieurs vont et viennent entre secteurs public et privé. Il y eut de beaux succès dans les secteurs de l’énergie, de l’automobile, de l’aviation, mais une plantée magistrale dans l’informatique.

Il n’empêche: le pays fut transformé en profondeur et les événements de mai 1968 sanctionnèrent le réajustement social et culturel de cette transformation.

Que s’est-il passé d’important depuis? Rien de comparable. L’IVG et la suppression de la peine de mort. Une amorce de décentralisation. Le RMI. Et la persistance d’un chômage de masse qui plombe le moral de la nation et alimente un populisme désespéré.

Brillant représentant d’une caste qui sut pendant un siècle (1840-1940) jouer la carte impériale et contrôler la première mondialisation, Dominique de Villepin donnait, mercredi après-midi à l’Assemblée nationale, l’impression pénible de courir après un passé glorieux en s’excusant de devoir se préoccuper de réalités aussi bassement matérielles que des primes à l’emploi ou des encouragements à l’embauche.

Ce décalage est annonciateur de violences sociales.

Mais il y a non seulement des emplois à créer et des marchés à reconquérir, il y a aussi des mentalités à faire évoluer. Il faut que le France (et les Français) prennent conscience du fait que les grands acquis du passé ont disparu. Ils doivent réfléchir à leur place dans le monde et en Europe. En devenant un Etat parmi d’autres, acceptant de discuter sans condescendance avec les voisins. En commençant, pour excuser le coup qu’ils viennent de porter à la construction européenne, par remettre entre les mains de la Commission européenne le siège permanent qu’ils occupent au Conseil de Sécurité de l’ONU. Le geste serait à la mesure de l’offense.