Une nouvelle technologie est en train de révolutionner la gestion d’entreprise. Elle trouve son origine dans la recherche fondamentale. Explications.
Discipline complexe et peu traitée par les médias, la gestion d’entreprise a beaucoup évolué au cours des dernières années: les développements informatiques ont radicalement transformé les outils permettant de piloter ces paquebots que sont les grandes compagnies.
Dernière révolution en date, la technologie BPM (pour Business Process Management) mérite que l’on s’y intéresse pour plusieurs raisons: elle permet aux entreprises d’améliorer considérablement leur efficacité opérationnelle, et elle trouve son origine dans… la recherche fondamentale.
Le BPM a été rendu possible grâce à la généralisation d’internet, qui a été étudiée de près par les théoriciens. Le réseau a en effet transformé la manière dont les programmes informatiques travaillent entre eux. Considéré comme le maître absolu dans ce domaine de l’informatique théorique, le chercheur Robin Milner a été couronné par l’un des prix les plus prestigieux: le prix Turing.
Après avoir travaillé dans plusieurs universités, dont celle de Stanford, Robin Milner dirige maintenant le département d’informatique de l’Université de Cambridge. Sa théorie, le Pi Calculus, permet de modéliser la manière dont les programmes interagissent, communiquent et évoluent. Elle apporte une approche novatrice car elle permet d’étudier les interactions entre des entités ayant une vue changeante de leur environnement.
Cette théorie moderne est à la base de recherches dans divers domaines comme la biologie formelle. Elle a aussi été la source d’inspiration pour ce Business Process Management qui permet aux entreprises de modéliser, simuler et améliorer le flux de travail.
Les outils de relations client existaient depuis de nombreuses années, mais leur création était lente et chère — jusqu’au lancement en 1995 du langage de programmation Java, qui a quelque peu dynamisé leur développement. Mais de nouvelles méthodes d’intégration étaient nécessaires. Le BPM a répondu aux attentes du marché car il permet de combiner efficacement ces outils de relations client.
Comme souvent en informatique, le début du BPM a donné lieu à différentes implémentations non-standardisées. Puis, après le lancement en 2000 par le chercheur Howard Smith d’une initiative nommée BPMI.org, beaucoup d’entreprises actives dans le domaine se sont unies pour rédiger un standard. Lequel, après plusieurs profondes mutations, voire re-conceptions, a été adopté par une large majorité.
Le BPM est un moyen de modéliser le travail en entreprise. Par exemple, si nous commandons un produit auprès d’une société, celle-ci devra suivre le traitement de la commande, vérifier son acheminement en interne (éventuellement contrôler son assemblage) puis le livrer ou le faire livrer.
Plusieurs dizaines d’employés du fournisseur pourraient avoir à collaborer pour offrir la prestation finale. Grâce au BPM, toutes ces interactions peuvent être modélisées, simulées et améliorées.
Par la suite, il est possible de passer de la simulation à un déploiement interne, en créant automatiquement les outils informatiques permettant ces interactions.
Dans un système de commande, on peut imaginer que chaque acteur (chaque collaborateur de l’entreprise lié au processus de commande) reçoive automatiquement les informations dont il a besoin, permettant au système d’être très performant.
Plusieurs sociétés se sont lancées dans l’aventure et ont misé sur le BPM. Parmi elles, Oracle, Microsoft, IBM et des plus petites comme Fuego, une société américaine créée en 1996, entièrement dédiée à ces nouvelles technologies et qui distribue une solution complète de BPM.
Comment la mise en place de tels outils se passe-t-elle?
«Tout d’abord, le marché que nous ciblons est composé de sociétés de plus de 5’000 employés, car elles sont susceptibles d’avoir des problèmes de workflow et ont les moyens d’investir dans ces technologies, explique Wayne Snell, directeur marketing de Fuego. En général, les managers sont les premiers dans le processus d’amélioration. Ce sont eux qui créent les modèles. Ils peuvent ensuite effectuer des simulations et s’assurer que les modèles décrivent correctement la réalité.»
«Après optimisation, il est possible de mesurer les indicateurs de performances: à combien se monte le chiffre d’affaires par jour, combien de produits sont usinés, poursuit le responsable marketing. Il est aussi possible de voir si la charge de travail est correctement répartie, car la surcharge d’un groupe de travail face à un autre pourrait désavantager la stratégie globale.»
«Une fois que le modèle est affiné, le département informatique entre en jeu et fait le lien entre le modèle et la réalité afin que les politiques déterminées soient appliquées. Après leur déploiement, les outils BPM fournissent aux cadres dirigeants des données en temps réel: comment se déroule le business, maintenant!»
Des exemples concrets?
«Nous avons par exemple utilisé notre solution pour améliorer le système de facturation de Protel, un opérateur téléphonique mexicain. Il leur était crucial de pouvoir répondre aux offres spéciales de leurs concurrents instantanément, et d’intégrer immédiatement les règles dictées par le marketing dans le système de facturation. Grâce au BPM, il a été possible en deux mois d’automatiser entièrement la création de nouvelles offres. Maintenant, les analystes peuvent incorporer les nouvelles règles directement dans le système de facturation sans même passer par des programmeurs.»
Et les prochains développements de ces outils?
«Jusqu’à présent, les solutions de BPM ont principalement été utilisées pour baisser les coûts: faire plus avec moins, explique Wayne Snell. Aujourd’hui, avec la relance de l’économie, les entreprises focalisent leurs ressources afin d’offrir de meilleures prestations, de livrer plus rapidement, plus efficacement avec plus de choix. Le BPM doit s’adapter à ces nouveaux besoins, permettre de créer des processus plus agiles, plus fins.»
La prochaine vague informatique sera-t-elle celle du BPM? Une chose est sûre, l’informatique théorique, et la théorie pure en général, ont un rôle moteur à jouer, notamment dans l’économie. Et miser sur la recherche fondamentale, c’est plus que jamais miser sur l’avenir.
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Plus d’informations:
R. Milner. Communication and Mobile Systems : the Pi-Calculus, Cambridge University Press, 1999.
H. Smith and P. Fingar, Workflow is just a Pi process, CSC, 2003.
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Pascal Perez a créé sa propre société informatique à l’âge de 16 ans. Actuellement étudiant à l’Ecole polytechnique de Lausanne, il est aussi l’auteur, avec Barbara Polla, du livre «Vocation créateurs» (éditions du Tricorne).
