Alors que le projet européen perd pied en France, en Hollande mais aussi en Allemagne et en Italie, la Suisse plébiscite l’entrée dans l’espace Schengen. Curieuses démocraties…
C’est un soupir de soulagement capable de couvrir les ahanements des finalistes de Roland-Garros que la Berne fédérale a poussé dimanche après-midi: Schengen avait trouvé grâce aux yeux des électeurs par un score clair au niveau des voix, mais insuffisant au niveau des cantons, sans dommage pour l’accord puisque la double majorité n’était pas nécessaire.
Mais que se serait-il passé si la France et les Pays-Bas avaient voté deux semaines plus tôt, si le large recours au vote par correspondance n’avait pas gelé le résultat avant la poussée de fièvre franco-hollandaise?
La réponse à cette question ne faisant guère de doute, cela me permet de revenir sur la critique de la démocratie directe esquissée, au grand dam de lecteurs qui me l’ont fait savoir, dans ma dernière chronique.
Quelle meilleure condamnation de la pseudo démocratie référendaire qu’un vote qui peut varier radicalement en quelques jours sous l’influence de scrutins organisés ailleurs, pour d’autres raisons, sur d’autres sujets? Il est peut-être nécessaire de recourir de temps à autres et sur des questions clairement ciblées à des scrutins populaires, mais l’usage qui en est fait de nos jours en Suisse est démesuré. Et dangereux.
Le danger vient du renforcement de plus en plus évident du populisme. Le populisme signifie porte ouverte à tous les opportunismes. Il implique la mise sous pression permanente du peuple par sa mobilisation sur de faux problèmes habilement présentés comme essentiels. Ainsi, les arguments utilisés par Blocher et les siens sur Schengen, à propos du développement de la criminalité par exemple, étaient archifaux.
Et ceux qu’ils vont utiliser pour la campagne qui commence des aujourd’hui en vue de la votation du 25 septembre s’annoncent tout aussi fallacieux. Je vois déjà d’ici les chiffres monstrueux nous mettant en garde contre l’invasion des redoutables plombiers polonais, contre les criminels tchèques et les prostituées slovaques. Le pire dans les campagnes politiques de ce genre est qu’elles sont avilissantes et qu’elles finissent par contaminer leurs contradicteurs par leur bassesse.
L’autre manière populiste de maintenir la pression est la campagne en cours pour exiger du Conseil fédéral qu’il retire la demande d’adhésion à l’Union Européenne déposé en 1992. Christoph Blocher ne supporte toujours pas que cette lettre dorme dans un tiroir bruxellois. S’il pouvait la prendre et la faire brûler publiquement par un bourreau fédéral sur la prairie du Grütli, il le ferait certainement avec plaisir.
Au vu de la cacophonie qui règne actuellement au niveau européen, il n’est d’ailleurs pas exclu qu’il parvienne à ses fins. Le cri de colère gaulois a ouvert une brèche par laquelle s’engouffrent tous les insatisfaits du continent. On apprend ainsi qu’un document allemand très secret (?) propose le retour au Deutsche Mark.
En Italie, les léguistes d’Umberto Bossi n’ont pas cette discrétion: c’est en hurlant qu’ils réclament le retour à la lire – vous vous en souvenez certainement, c’était cette bonne vieille monnaie que les gouvernements faisaient valser aux mieux de leurs intérêts électoraux.
Quant à Gianfranco Fini, l’ancien dirigeant post-fasciste converti à la droite nationaliste et devenu ministre des Affaires étrangères, il a déjà trouvé deux raisons d’opposer son veto au futur budget européen: il ne faut pas que Bruxelles sucre un peu les subventions pour le Mezzogiorno (c’est-à-dire, en gros, pour la mafia) et, surtout, qu’on ne mette pas en cause le déficit de l’Etat italien.
De la routine, pourrait-on penser. Certes, mais il convient de ne pas oublier une chose. Cette Europe bougonne, cette Europe en crise, cette Europe en quête d’identité est encore dirigée par des hommes – Blair, Chirac, Schröder – qui, sans être de grands europhiles, ont tout de même dû montrer patte blanche pour se faire élire.
Leurs successeurs de demain – les Brown, Sarkozy, Merkel – font déjà savoir que leur credo n’est pas l’Europe mais le libéralisme. C’est dire que nous sommes encore loin de la création d’Etats-Unis d’Europe capables de tenir la dragée haute aux Etats-Unis d’Amérique.
Heureusement que pour adoucir nos jours et nos nuits, nous avons désormais la possibilité de nous pacser.
