KAPITAL

PC made in Switzerland

L’entreprise soleuroise Digital-Logic a réussi à s’imposer sur un marché ultra-concurrentiel: elle produit 70’000 ordinateurs par an. Informatique embarquée.

«Je suis un computer-freak!» Felix Kunz raconte avec une certaine fierté comment il a trouvé sa vocation en construisant son premier ordinateur à l’âge de 16 ans. Le fondateur de Digital-Logic en fabrique désormais 70 000 par an.

Bien que compatibles avec Windows, les machines Digital-Logic ne se destinent pas aux applications bureautiques.

«Il est évidemment exclu d’entrer en compétition depuis la Suisse avec des fabricants comme Dell ou des géants asiatiques», explique-t-il. Son entreprise, basée à Luterbach (SO), occupe un marché de niche, celui des ordinateurs embarqués, qui pilotent par exemple l’interface d’un distributeur de billets de métro, d’un bancomat, d’un scanner médical ou d’un appareil de communication militaire.

Ce marché des ordinateurs embarqués ne représente qu’une fraction, environ 1%, de la production mondiale de PC.

«Les avantages compétitifs de nos machines sont la miniaturisation, la résistance aux chocs et aux changements de température», poursuit le directeur. Les ordinateurs de Digital-Logic équipent par exemple des automobiles, des stations d’essence ou des satellites.

«Nos boîtiers supportent les vibrations, les chocs, et des sauts de -40 à +85 degrés C, des conditions qui font mourir rapidement un PC classique. Nous venons de fournir environ 10000 machines destinées aux distributeurs de billets du métro londonien.»

Le fabricant suisse commercialisera par ailleurs prochainement un ordinateur embarqué qui fera fonctionner Windows Media Center – la nouvelle plateforme de Microsoft – dans une voiture. Cinéma, musique et toutes les fonctions d’un ordinateur dans un seul boîtier de la taille d’un autoradio, destiné à un grand constructeur automobile.

En matière d’ordinateurs embarqués, la clientèle exige avant tout une fiabilité durable et une miniaturisation extrême. Le prix n’intervient que plus loin dans les critères de choix. Ainsi, Digital-Logic n’a jamais pensé à délocaliser sa production en Europe de l’Est ou en Asie.

«Nos clients achètent la qualité suisse, un peu comme dans l’horlogerie, résume le fondateur. Le haut de gamme se délocalise plus difficilement: on ne fabrique pas une Blancpain ou une Porsche en Chine.»

L’histoire de Digital-Logic rappelle les grandes épopées industrielles américaines. En 1992, Felix Kunz et son frère lancent leur entreprise et installent son siège dans un petit logement mansardé à Oberdorf (BL).

«Auparavant, j’avais lancé un bureau d’ingénieur indépendant qui développait des logiciels professionnels, se souvient Felix Kunz. Mais au début des années 90, j’ai senti que j’aurais du mal à tenir à cause de la récession qui commençait. Alors j’ai décidé de créer ma propre entreprise.»

Fabriquer des ordinateurs en Suisse, le projet semble fou avec la concurrence américaine et japonaise. «Personne n’y a jamais cru et je n’ai pas pu trouver un centime.» La société démarre avec un capital en actions de 50000 francs, détenu par sa famille.

Sulzer sera l’un de ses premiers clients, et Digital-Logic développera l’interface d’une machine à coudre industrielle. Grâce à l’un de ses premiers modèles, le 386 EC, Digital-Logic reçoit le premier prix du concours «Swiss Technology Award». Quelques années plus tard, en 1998, l’entreprise gagne respect et notoriété planétaires avec ses SmartModules, les plus petits PC du monde.

Encore aujourd’hui, les fondateurs ont conservé la majorité du capital, le reste étant réparti chez d’autres investisseurs privés. «Je n’ai jamais accepté de capital risque car je me méfie des spéculateurs et des donneurs de conseils.» Une prudence encore accentuée par l’expérience de la mise en Bourse, en 2000, qui s’est mal terminée. A l’époque, l’entreprise compte une centaine d’employés et réalise un chiffre d’affaires de 16 millions de francs.

«Comme tout le monde nous poussait à entrer en Bourse, nous avons engagé un cabinet de consultants pour analyser la situation et nous conseiller. Pour valoriser la société, ils nous ont suggéré de racheter un de nos concurrents, Micro-Design, une petite boîte allemande.»

Une opération coûteuse que l’entrepreneur regrettera plus tard. «Les meilleurs ingénieurs de Micro-Design sont partis pour créer leur propre entreprise et nous avons dû réduire massivement l’effectif restant pour couper les coûts. Les consultants ne réalisent pas l’élément humain qui existe dans une petite société. Ils conseillent des rachats et puis ils laissent l’entrepreneur avec les emmerdements.» L’entrée en Bourse a été annulée, et la famille Kunz n’est pas prête de recommencer.

Aujourd’hui, l’effectif est de 95 employés en Suisse, et 6 en Allemagne. Le chiffre d’affaires dépassera les 27 millions cette année, en progression d’au moins 10% par rapport à 2004.