Les enfants sont fascinés par ces petits personnages au langage ordurier. Dernier avatar de la contre-culture américaine, «South Park» est un film subversif et très rentable.
Imaginez un film scatologique, stupide, violent et donc interdit aux moins de 17 ans. Un film canadien. Des écoliers veulent absolument le voir mais l’entrée leur est refusée. Normal, ces enfants n’ont pas plus de neuf ans. Mais ils sont malins. Ils demandent à un sans-abri de leur acheter les tickets et ils entrent dans la salle. Ils trouvent le film hypercool.
Ils en parlent à leurs camarades de classe, qui vont voir le film à leur tour. Les parents l’apprennent et sont scandalisés. Qui est responsable? Les autorités, le distributeur, l’exploitant de la salle? Pas du tout. Le responsable de toute cette décadence, c’est le Canada. Les parents décident de mener une campagne contre la feuille d’érable. L’affaire prend des dimensions nationales.

Les deux vedettes du film incriminé seront kidnappées pendant un talk-show et les Etats-Unis finiront par déclarer la guerre au Canada. L’histoire se terminera en enfer, où comme chacun le sait Satan est l’amant de Saddam Hussein.
Tel est le synopsis de «South Park», le dessin animé adapté de la série TV la plus provocatrice du moment. Son humour frôle toujours le mauvais goût, et y tombe parfois. Exemple: «J’ai jamais vu un juif courir aussi vite depuis 1939», dit un des personnages… Sorti cet été aux Etats-Unis et la semaine dernière en France, le film a recueilli des critiques enthousiastes («Etonamment subversif, drôle et insolent», a écrit «Le Monde»). Les cinéphiles louent son esprit politiquement incorrect, sa caricature de l’hypocrisie américaine, ses gags intestinaux et son audace à peine adoucie par la naïveté des dessins.

«South Park» s’inscrit dans une tendance lourde des années 90: la satire politique vitriolée mais emballée dans des dessins si proprets qu’on les croirait destinés aux moins de 10 ans (cf «Les Simpson»). La stratégie commerciale est subtile: en visant un public clairement adulte, les producteurs sont assurés d’intriguer les adolescents, et par conséquent les enfants. Ça marche.
Aux Etats-Unis comme ailleurs, les parents ne savent plus comment dissuader leur progéniture d’aller voir ce cartoon qui, ironiquement, raconte l’histoire de parents qui ne savent plus comment dissuader leurs enfants d’aller voir un film…
Mais il serait injuste de ne voir derrière «South Park» qu’une provocation ou une machination mercantile des studios. La qualité des dessins et les dialogues ravageurs (on a parlé d’humour «pédophobe») valent bien mieux que ça, du moins en version originale américaine.
Le film a été imaginé, écrit et réalisé par deux punks natifs du Colorado, Trey Parker (29 ans) et Matt Stone (27 ans), qui ont bénéficié d’un budget généreux de la Paramount et d’un contrôle quasi-total sur le contenu. C’est le succès exceptionnel de la série TV, diffusée par la chaîne Comedy Central dès 1997, qui leur a permis de négocier un contrat aussi confortable.
Les deux auteurs ont désormais les moyens de réaliser tous leurs caprices. L’année dernière, Trey Parker a tourné «Orgazmo», un porno parodique où les acteurs, des professionnels du genre, n’enlèvent pas leurs habits. Au même moment, son compère réalisait une comédie musicale expérimentale avec son pénis dans le premier rôle. Le public de MTV les adore et la plupart des stars hollywoodiennes veulent travailler avec eux, comme George Clooney qui a prêté sa voix à un des personnages de «South Park».
Parker et Stone sont aussi musiciens. Pour la bande-son du film, ils ont composé des morceaux interprétés par Meat Loaf, un monstre du rock pompeux. Ils ont aussi invité des stars du funk (Isaac Hayes, Rick James, Ike Turner), du hard (Ozzy Osbourne), du rap (Wyclef Jean), quelques alternatifs (Devo, Ween, Rancid) et même Elton John, qui a accepté de céder son «Wake Up Wendy» pour les besoins du film.
«South Park»doit-il être classé dans la tradition de la contre-culture américaine? C’est un film à la fois subversif et calculé. Une critique du système, mais une opération très rentable pour l’industrie hollywoodienne.
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«South Park, le film» (1999), de Matt Stone et Trey Parker.
Image © Comedy Central
