TECHNOPHILE

Une TV personnalisée qui vous suit partout

Après la multiplication des chaînes, c’est la portabilité qui va révolutionner la manière de regarder la TV. Quel avenir pour la TSR?

Prise de vues, montage, diffusion, stockage… l’ensemble de la production audiovisuelle s’effectue désormais en numérique. Avec pour avantages une gestion et une diffusion facilitées des images, et surtout une prolifération extraordinaire des chaînes, car la compression informatique permet d’augmenter considérablement le nombre de canaux sur un même support de transmission.

Les foyers équipés d’une parabole et d’un décodeur reçoivent déjà des centaines de chaînes thématiques, gratuites ou payantes (accessibles au moyen d’une carte à puce). Cette numérisation s’est récemment étendue au câble.

En Suisse, Cablecom, le premier câblo-opérateur du pays, compte plus de 100’000 abonnés à son offre digitale. «En mai, notre plate-forme passera de quelques dizaines à plus 150 chaînes de TV et radio en qualité numérique, annonce Stefan Hackh, porte-parole de Cablecom. Nous venons d’ajouter une nouvelle chaîne cinéma payante, et nous allons développer ce secteur.»

Dans cette perspective, Cablecom vient de signer un partenariat avec le groupe CMore, filiale de SBS, le plus grand fournisseur de télévision payante en Europe. Dans le même sens, Naxoo, nouveau nom du câblo-opérateur genevois Télégenève, propose des bouquets thématiques rachetés à des opérateurs satellites européens comme TPS ou CanalSatellite.

Aux avant-postes de cette numérisation, l’entreprise suisse Nagra-Kudelski commercialise dans le monde entier les systèmes d’accès et d’encryptage des décodeurs numériques. «La baisse du coût du transport des images a changé complètement la donne, explique son directeur général André Kudelski. Jusqu’ici, les programmes de télévision étaient organisés en fonction de l’intérêt de la majorité, pour toucher un maximum de monde en «prime time». La numérisation permet de segmenter l’offre et diffuser sur des chaînes thématiques des programmes qui ciblent un public plus spécifique, à toute heure.»

Câble, satellite, réseau hertzien, internet, bientôt téléphonique, la multiplicité des moyens de transport des images alimente par ailleurs la concurrence entre les opérateurs, ce qui les encourage encore à développer leur offre, au risque de submerger le téléspectateur dont le temps n’est pas extensible.

Pour faciliter le choix parmi des dizaines, voire des centaines de chaînes, les interfaces des décodeurs numériques font d’importants progrès. Les modèles proposés en Suisse sur le câble par BluewinTV, Naxoo et Cablecom intègrent des guides interactifs qui facilitent la navigation à travers les programmes.

Concurrence plus forte Dans ce contexte, les chaînes généralistes doivent se battre contre une concurrence de plus en plus forte. En Suisse romande, la TSR pourra-t-elle maintenir sa position dominante? «Nous avons l’habitude de nous battre face à une offre gigantesque qui touche plus de 70% de la population grâce au câble ou au satellite, dit Gilles Marchand, directeur de la chaîne. La bonne question est: à combien de parts de marché se situe une position dominante dans un marché de plus en plus atomisé. Je constate que, depuis le début de l’année, les parts de marché de la chaîne progressent sensiblement, malgré la concurrence évoquée: nous sommes à 36% sur la tranche 18 h-23 h. Il est difficile à dire si cela se maintiendra indéfiniment à de telles hauteurs.»

Face à la concurrence accrue, la TSR ne devra-t-elle pas se concentrer sur sa spécificité, autrement dit les programmes romands, et laisser à d’autres la diffusion de films et séries achetés à l’étranger? «La TSR est une chaîne généraliste et le restera, répond Gilles Marchand. La fiction achetée fait pleinement partie de ce mandat, elle est un ingrédient essentiel à la saveur de notre grille. Nous avons toujours réussi à proposer les meilleures séries, les meilleurs films à notre public. Cela fait partie de notre identité de chaîne.»

La télé à la demande

La télévision numérique vise aussi un autre marché, celui du DVD, grâce à la transmission de programmes à la demande. Déjà, les nouveaux magnétoscopes, munis de disque dur, facilitent la programmation des enregistrements. Aux Etats-Unis, des systèmes comme TiVo permettent d’enregistrer automatiquement les émissions en fonction de ses goûts.

Mais ce que prépare Bluewin en Suisse pour l’automne ira beaucoup plus loin. Son boîtier ADSL permettra de recevoir des programmes télévisés par l’intermédiaire du réseau téléphonique. «Outre une centaine de chaînes, notre système ajoutera une plus-value considérable: la possibilité de choisir un film dans un gigantesque catalogue de plusieurs milliers de titres, comme dans un vidéoclub, annonce Christian Neuhaus, porte-parole de Swisscom. Avec une interface très simple, l’usager pourra choisir un film et, pour environ 7 francs, commencer à le regarder quelques secondes après et pendant toute la journée qui suit.»

Si Swisscom se lance avec tant d’énergie dans le marché de la télévision, ce n’est pas seulement pour diversifier son offre. «Nous devons pouvoir offrir la même chose que la concurrence du câble qui permet de surfer, de téléphoner et de regarder la télévision, constate Christian Neuhaus. Pour assurer notre maintien à long terme sur le marché des liaisons fixes en Suisse, nous sommes obligés d’offrir ces mêmes services sur les lignes téléphoniques, et donc d’ajouter la télévision.»

Avec quel impact sur le marché? «Les programmes à la demande s’adressent à une clientèle différente de la télévision classique, analyse André Kudelski. Certains ont eu énormément de succès, comme l’offre de Mediaset en Italie, qui permet d’acheter un match de foot à la pièce pour 3 euros. Généralement, cela reste un marché de niche et les télévisions généralistes continueront d’exister en parallèle. Car dans ce secteur, il ne faut jamais oublier que le spectateur veut avant tout se divertir sans réfléchir. Il n’aime pas choisir, préfère s’écraser dans un sofa et qu’on lui apporte un programme déjà tout prêt sur un plateau.»

La télé sur le Net

En marge de la vidéo à la demande, de plus en plus d’internautes regardent la télévision sur le web, notamment pour s’informer, y compris en Suisse romande. «Le TJ de 19 h 30 représente une large proportion des 400 000 vidéos qui sont téléchargées chaque mois du site tsr.ch», annonce Bernard Rappaz, en charge des activités en ligne de la chaîne. «140’000 Romands ont déjà suivi le 19h30 sur tsr.ch, ce qui est important, renchérit Gilles Marchand, directeur de la TSR. Et l’audience online ne cessera de progresser à l’avenir.»

Au détriment de la TSR de salon? «Je parie sur un phénomène contraire: le online conduira les téléspectateurs aux rendez-vous d’antenne, car le direct restera une valeur clé pour l’actualité. Le online prolongera ces rendez-vous par des mises à jour. L’actualité audiovisuelle va s’enchaîner d’un écran à l’autre, du teletext à l’antenne en passant par le web et le mobile. Le contenu sera celui de nos rédactions d’actualité, dont la mission numéro un restera d’être au rendez-vous de l’antenne.»

La télévision imagine son avenir aussi en dehors des maisons. «La vidéo se consommera bientôt comme la musique: partout, anticipe André Kudelski. Une station de base à la maison stockera les films et les émissions achetées ou enregistrées. Nous emporterons un petit baladeur vidéo – l’équivalent de l’iPod – ou un téléphone mobile pour les visionner ailleurs.»

Regarder un clip ou le téléjournal dans le train ou en attendant le bus semblera complètement banal dans quelques années. La consommation mobile de matériel audiovisuel va considérablement augmenter, dopée aussi par l’essor du réseau UMTS, qui permet de télécharger des vidéos directement par l’intermédiaire de son téléphone mobile.

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Une version de cet article est parue dans L’Hebdo du 28 avril 2005.