La politique est-elle sensible aux dérives climatiques? A voir l’évolution de la situation française, il devient difficile de ne pas le croire. Chaque semaine apporte son lot de désagréments, de coups de griffes, de mini-crises au point que l’on a de plus en plus l’impression de se rapprocher de la IVe République.
Villepin contre Raffarin, quel ridicule! Pour qui ne s’en souviendrait pas (ils sont tout à fait excusables, ce sont de vieilles histoires), la Quatrième République est le régime de la France entre la première arrivée au pouvoir du général de Gaulle en 1944 et sa seconde en 1958. Une période courte, très courte à notre échelle, puisqu’elle correspond au double septennat de Mitterrand (qui soit dit en passant en fut ministre presque sans arrêt du début à la fin). Fondée constitutionnellement sur un législatif fort et un exécutif faible, elle sombra avec son incapacité à résoudre les problèmes posés par la décolonisation.
Revenu au pouvoir en mai 1958 suite à une sorte de coup d’Etat larvé qui n’osa pas dire son nom, de Gaulle renversa la vapeur constitutionnelle en renforçant au maximum l’exécutif en instaurant un régime présidentiel sanctionné par l’élection du chef au suffrage universel et en réduisant à presque rien les pouvoirs du parlement, repaire des partis honnis.
Force est de reconnaître que cela marcha bien: de Gaulle donna l’indépendance aux colonies, puis à l’Algérie (qui n’était pas une colonie, mais faisait partie intégrante de la France). Il relança aussi l’économie en sacrifiant le charbon au profit d’industries de pointe innovatrices et porteuses. Et en bétonnant le pays. C’est une époque où le Plan dispose de l’avenir des Français et en dessine les contours.
Homme de droite, de Gaulle n’avait rien d’un libéral. Mai 68 donna à cette France en pleine effervescence économique la culture et la joie de vivre qui lui manquaient.
Aujourd’hui, son régime se survit vaille que vaille, mais personne n’y croit plus, à commencer par celui qui se prétend le premier gaulliste du pays, Jacques Chirac.
Politicien opportuniste dénué de toute vision politique à long terme, il n’est parvenu au pouvoir et a réussi à s’y maintenir qu’en multipliant, comme un jouer de poker, des petits coups qui, parfois, réussissent et souvent échouent lamentablement.
Ses débuts dans les années 1970 (contre Chaban, notamment) furent lamentables. Personne n’ignore le nombre et le poids des casseroles judiciaires accrochées à ses basques. Chacun se souvient de la misérable dissolution du parlement de 1997. Tout le monde se demande aujourd’hui pourquoi il s’est lancé dans le référendum sur la constitution européenne alors qu’un vote des chambres réunies où il dispose d’une majorité fracassante aurait suffi.
Sa défaite probable le 29 mai annonce une crise de régime et il n’est pas exclu du tout que, contrairement à ce qu’il prétend, il soit contraint à jeter l’éponge en quittant le pouvoir. Les frères Sarkozy, la droite libérale et le Medef vont s’en occuper. Parce que le gaullisme est désormais historiquement dépassé. Un Etat de l’importance de la France ne peut plus dans l’économie globalisée que nous connaissons soustraire d’importants secteurs de ses activités à l’économie de marché, à la concurrence.
Or c’est là que se trouve l’enjeu essentiel du vote du 29 mai: les tenants du non ont saisi l’opportunité de cette consultation en principe sans enjeu majeur pour prendre la constitution européenne en otage et en faire le bouclier de la défense d’une série d’acquis (législation sur le travail, services publics, santé, etc.) qui sont de première importance pour la vie quotidienne des gens mais dont le patronat international, multinational et transnational se fiche comme de l’an quarante, assis qu’il est sur ses millions. (Cela fait Zola, mais je n’y peux rien, ils sont bien réels et ce sont eux qui se les versent!)
Une fois de plus, Chirac s’est donc tiré dans le pied. Et on ne peut que comprendre ceux qui s’apprêtent à voter non. Le problème est que l’on ne construit pas en disant non. Pour mobiliser, il faut offrir des perspectives.
Les peuples européens sont coincés entre des forces dont la puissance contenue les dépasse pour le moment: le conservatisme militant américain, l’anarchie postcommuniste, le dirigisme autoritaire chinois, le famélisme du tiers monde. Je suis persuadé qu’à moyen ou long terme la culture européenne trouvera une solution pour dialoguer avec ces forces et limiter les ravages du libéralisme sans revenir aux nationalismes d’antan. L’ennui, c’est que pour aujourd’hui, on ne voit pas de solution.
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